Au Congo, l’opposition guette la fin du règne de Denis Sassou Nguesso

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C’est l’un des plus anciens dirigeants actuellement au pouvoir dans le monde. À lui seul, Denis Sassou-Nguesso cumule 36 ans de règne à la tête du Congo-Brazzaville. Au Congo, la révolte gronde, l’opposition se structure et la soif d’alternance se fait de plus en plus pressante dans un pays, au sein duquel 70 % de la population vit avec moins d’un dollar par jour. Est-ce enfin le terme du règne du « Grand Mal du peuple congolais » ?

Un ambitieux venu du marxisme

C’est en mars 1979 que le comité central du Parti congolais du travail (PCT), alors peu ou prou affilié à l’URSS et revendiquant une idéologie d’inspiration marxiste assumée, confie à Denis Sassou Nguesso le destin du pays. Avant, Denis Sassou Nguesso a occupé les postes de ministre de la Défense et de vice-président du pays.




Insuffisant pour l’ambitieux natif du village d’Edou, localité située dans le centre du pays, qui aspire à la magistrature suprême. Les premières années sont, pour Denis Sassou Nguesso, l’occasion de profiter d’une rente pétrolière nouvelle acquise par l’exploitation du champ de Likouala. Grands travaux et nouvelles infrastructures vont se succéder, lui offrant l’image d’un bâtisseur, moderne et conscient des potentialités de son pays. Mais la dette s’accumule et la corruption devient galopante.

Réélu par le troisième congrès du PCT en 1984, il obtient un rééchelonnement des dettes en échange d’un douloureux programme d’ajustement structurel (PAS), exigé par les accords de Bretton Woods. En bref, l’application d’un programme libéral, mêlant incitation à l’entrepreneuriat, politique d’austérité et privatisations des entreprises stratégiques, dans un pays se revendiquant alors du marxisme-léninisme. Reconduit en 1989, il cumule alors les fonctions de chef du gouvernement et celle, hautement stratégique, de ministre de la Défense, s’assurant ainsi la fidélité des armées.




Sous la pression de la France, les embryons d’une libéralisation politique du pays sont entamés dans les années 1990. Un début de transition fatal pour Sassou Nguesso, qui perd les élections au profit de Pascal Lissouba en 1992. Mais, en 1997, une sanglante guerre civile rebat les cartes et ses milices, les Cobras, auxquelles se rangera l’armée congolaise lui permettent de retrouver le pouvoir. Au prix, sur le plan international, d’une image écornée par le sang des milliers de morts du conflit interne. Le 25 octobre 1997, Denis Sassou-Nguesso se proclame président de la République. Il sera ensuite réélu à chaque échéance. Si besoin en faisant passer des modifications constitutionnelles lui permettant d’outrepasser le nombre de mandats autorisés, comme en 2015.

Une immense fortune accumulée

Denis Sassou Nguesso a aussi profité de ses nombreux mandats pour accumuler une immense fortune. Depuis octobre 2011, sous l’impulsion des ONG Transparency International et Sherpa, plusieurs propriétés du clan Sassou Nguesso, ainsi que plusieurs voitures de luxe sont saisies. Le plus imposant de ces biens est sans doute un hôtel particulier à Neuilly-sur-Seine, acquis par sa fille. Son fils Denis aurait, quant à lui, détourné 45 millions d’euros des caisses de l’État congolais, grâce à son poste de numéro 2 à la Société nationale des pétroles du Congo.

Les rapports internationaux ne sont, pour Sassou Nguesso, guère brillants. Le Congo était, en 2018, classé à la 43e position des pays africains en matière de bonne gouvernance, avec un score très inférieur à la moyenne continentale. L’indice de corruption, quant à lui, classe le Congo à la 171e place à l’échelle internationale, sur 186 pays.

Une population survivant dans une extrême misère

Le Congo souffre de l’un des contrastes propres au continent africain. Un pays riche en ressources naturelles, mais à la population pauvre, sinon miséreuse. Avec une élite, dont les richesses atteignent des sommets. Grâce à ses ressources pétrolifères, le pays pourrait être le troisième exportateur africain. Dans la région de la Cuvette, au nord du pays, un gisement estimé à 359 millions de barils est désormais exploité. Une cinquantaine de mineras sont recensés, mais seule une douzaine sont effectivement exploités. Le pays possède, par exemple, la deuxième réserve mondiale de cuivre, avec 10 % du total recensé sur la planète et plus de 50 % des réserves prouvées de cobalt.




Pourtant, la population, dans son immense majorité, vit encore avec moins d’un dollar par jour. Les finances publiques, mal gérées et soumises à la volatilité des cours du pétrole, sont lourdement endettées. D’autant que Denis Sassou Nguesso est accusé d’avoir volontairement sous-estimé la dette du pays, aujourd’hui estimée à 120 % du PIB congolais, contre les 70 % annoncés au FMI.

En face, l’opposition se renforce

Désormais, des personnalités crédibles émergent dans l’opposition pour concurrencer Sassou NGuesso. Signe que l’ère NGuesso se fissure. Parmi eux, Pascal Tsaty Mabiala, qui dispose du titre de chef de fil officiel de l’opposition. Premier secrétaire de l’Union panafricaine pour la démocratie sociale, il jouit cependant d’une faible popularité auprès des Congolais.

Plus reconnu, Parfait Kolélas est arrivé second à la présidentielle de 2016, recueillant 15 % des suffrages. Ses anciens portefeuilles ministériels lui confèrent cependant une certaine légitimité et une fine connaissance des institutions. Mais l’opposition la plus féroce et la plus radicale vient aussi de figures politiques moins instituées. John-Binith Dzaba, administrateur du site congolais Sacer-info.com et président des Assises Nationales du Congo, appelle à l’unité du peuple congolais et au départ du « dictateur » Sassou NGuesso. Ses vidéos, postées sur les réseaux sociaux, deviennent virales, signe de l’acculturation des Congolais aux pratiques militantes numériques. D’autres figures plus historiques, comme le Général Mokoko, sont aujourd’hui incarcérées. Aujourd’hui âgé de 73 ans, il a était condamné en avril 2016 à 20 ans de prison pour plusieurs chefs d’accusation, dont « atteinte à la sécurité intérieure de l’État ». Son emprisonnement est considéré par le Groupe de travail sur la détention arbitraire du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, comme « arbitraire ».




Surtout, la population ose désormais sortir dans la rue. En 2015, le référendum constitutionnel a entraîné des manifestations monstres dans le pays, violemment réprimées par les forces de l’ordre. Ces évènements avaient d’ailleurs entraîné des coupures massives des moyens de communication dans le pays. Des mouvements de masse auxquels s’ajoutent des mobilisations plus sectorielles, comme celles des anciens agents de la poste du Congo-Brazzaville en février dernier, qui n’ont jamais reçu la pension promise par les autorités. Une contestation politique, mais aussi populaire, dans un pays occupant la 134e place à l’indice de démocratie, un niveau équivalent à celui de la Russie.