Dans un objectif de compensation de ses émissions, Total-Energies prévoit la plantation d’une nouvelle forêt d’acacias de 40 000 hectares sur les plateaux Batéké en République du Congo. Les populations qui utilisent ces terres pour vivre se retrouvent privées de leurs moyens de subsistance et la biodiversité menacée par la culture d’acacias.
En parallèle du maintien de ses activités d’exploration et d’extraction d’énergies fossiles, TotalEnergies mise sur la compensation carbone pour atteindre ses objectifs de neutralité carbone. Parmi les projets retenus, la multinationale prévoit la plantation d’une nouvelle forêt d’acacias de 40 000 hectares sur les plateaux Batéké en République du Congo.
Les fausses promesses de la compensation
Selon TotalEnergies, cette forêt artificielle aurait une capacité de séquestration de plus de 10 millions de tonnes de CO2 sur 20 ans. L’entreprise ajoute que « la plantation d’acacias (…) sur des plateaux sableux exposés à des feux de brousse récurrents va créer un environnement forestier qui permettra, à terme, d’accroître la biodiversité des écosystèmes. Ces activités, créatrices d’emplois, impacteront positivement plusieurs milliers de personnes ».
TotalEnergies affirme que ce projet « favorisera la régénération naturelle d’essences locales et alimentera Brazzaville et Kinshasa en sciages et contreplaqués ».
Mais il apparaît que l’entreprise envisage en réalité une plantation industrielle d’arbres à croissance rapide, qui ne poussent habituellement pas dans cette région. C’est un bouleversement pour tous les animaux, les plantes et les populations qui y vivent.
Un écosystème et des populations menacées
Les plateaux Batéké sont un écosystème riche et complexe. Une partie de ces terres sont utilisées pour la cueillette, la chasse et l’agriculture de subsistance par les populations locales.
Selon Brice Mackosso, coordinateur adjoint de la plateforme Publiez Ce Que Vous Payez Congo, « la zone du projet est une savane dense avec des “forêts galeries”. La particularité des plateaux Batéké, c’est la présence des peuples autochtones appelés les Batouas très nomades, dont l’habitat naturel sera impacté avec la destruction des galeries de forêts. La faune sauvage – dont certaines espèces de gorilles – perdra également à coup sûr son habitat. Il est important de s’interroger si ces risques ont été pris en compte dans la définition du projet ».
Une cartographie de cette région signale également la présence possible des Pygmées autochtones.
Les populations écartées
Concernant l’implication des populations locales dans la mise en place de ce projet, TotalEnergies souligne que la signature d’un bail de 60 ans avec le gouvernement congolais a été réalisée « selon les procédures en vigueur, qui ont notamment inclus en amont une consultation des populations riveraines pour les informer du projet et de ses impacts ».
Néanmoins, d’après Brice Mackosso « à ce stade aucune preuve de consultation des communautés riveraines n’existe pour le projet. Publiez Ce Que Vous Payez Congo, plateforme de la société civile engagée dans le suivi de l’exploitation des ressources naturelles, n’a aucune connaissance d’une consultation de la société civile congolaise sur ce projet. »
Le 2 décembre 2022, le journal Mediapart publie une enquête montrant à quel point les droits des communautés locales sont malmenés : consultations tardives et inadaptées, dédommagements insuffisants, perte de revenus…
Un faible potentiel de compensation carbone
Selon Alain Karsenty, chercheur au CIRAD, les arbres en monoculture tels que les acacias présentent un faible potentiel de séquestration de carbone comparé à celui de forêts naturelles. Le GIEC a également mis en garde contre les monocultures qui consomment de grandes quantités d’eau et peuvent jouer un rôle négatif dans le dérèglement des écosystèmes.
Les projets de compensation, une menace pour la souveraineté alimentaire des populations locales
Les projets de compensation carbone peuvent mettre en danger les droits et la souveraineté alimentaire des populations locales, qui perdent l’accès à leurs terres. Il a été estimé que TotalEnergies aurait besoin d’environ 2 600 000 hectares en 2050 pour satisfaire ses besoins de compensation carbone. « Il est évidement à craindre que les projets de compensation carbone ne profitent une fois de plus qu’aux multinationales qui vont se lancer dans ce type de projet avec pour seule ambition la captation des financements internationaux. La fiscalité qui va régir ce projet n’est pas du tout connue, et l’on pourrait bien s’interroger sur les gains de la République du Congo avec la cession des terres à TotalEnergies », conclut Brice Mackosso.
Myrto Tilianaki, chargée de plaidoyer au CCFD-Terre Solidaire, étudie particulièrement l’impact des projets de compensation carbone et alerte sur les dangers qu’ils représentent : les projets de compensation qui émargent aux marchés d’échange de crédits carbone volontaires sont hors de contrôle faute de régulation contraignante. En l’absence de cadres régulateurs robustes, il y a des forts risques que des projets mettant en danger les droits des communautés locales dans les pays du Sud se multiplient.
C’est une très mauvaise nouvelle pour le climat et pour les droits humains. Les Etats doivent agir vite pour réduire drastiquement et immédiatement leurs émissions de GES et mettre en œuvre toutes les protections nécessaires pour garantir la protection des droits des communautés les plus vulnérables. ”
Source : Terre-Solidaire