KPG : « Quelqu’un qui rejette ses ancêtres ne peut pas défendre sa culture »

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Pingdwendé Gérard Kientega connu sous le nom d’artiste KPG est un conteur professessionel. Le conte il ne s’est pas contenté d’en faire son métier. Il le vit. Agé seulement de 42 ans, ce fils de forgeron qui a été bercé dès le bas âge par le grognement de la forge a gardé en mémoire non seulement l’image de l’atelier mais aussi le savoir-faire. Aujourd’hui, dans un monde conquis et dominé par la technologie où connaître le smartphone de l’avenir est le véritable défi, KPG s’est donné comme mission de rappeler aux autres d’où ils viennent. Lauréat de plusieurs prix à travers le monde, il est aujourd’hui une figure incontestable en matière de conte en Afrique. C’est en pleine préparation de son évènement, la 3ème édition des grandes nuits du conte qui se tiendront du 23 au 26 mars 2021, qu’une équipe de Faso7 est allée à sa rencontre.

Faso7 : On ne peut pas parler de KPG sans voir l’image de la forge. Est-ce qu’en vrai KPG est-il un forgeron ?

KPG : Oui ! Je suis un forgeron et c’est pour ça dans tout ce que je fais, on voit la forge qui revient. Parce qu’en fait, c’est ça qui m’a vue grandir, c’est ce qui m’a façonnée, c’est la forge qui m’a construit. C’est entre le marteau et l’enclume que ma vie a été modelé. C’est entre cette spiritualité que ma vie a été construite. Donc c’est normal qu’à chaque fois il y a une part de la forge que je parle. Est-ce qu’on peut voir une panthère sans voir ces taches ? Ce sont les taches de la panthère qui font qu’on reconnaît que c’est une panthère. Donc pour moi, on me reconnait dans mes activités à travers les éléments de la forge qui viennent tout temps parce que la forge était au commencement et la forge sera à la fin des choses.

Faso7: On parle beaucoup de KPG le conteur, mais pas souvent de KPG l’artiste engagé. Parle nous de cette part de tes actions. L’importance que tu y portes ?

KPG : Artiste engagé parce que l’activité de la forge demande même un engagement, aussi de la sincérité, en plus de la rigueur, la dextérité et la précision parce que le fait d’être forgeron nous permet de pouvoir confectionner des outils pour les autres. Et quand il donne rendez-vous à quelqu’un pour venir récupérer son outil, c’est un engagement qu’il a pris et il doit accomplir cet engagement. Lorsqu’il y a crise et qu’on nous appelle en tant que médiateur pour aller résoudre les conflits , c’est un autre engagement à savoir l’engagement de la réconciliation, l’engagement de l’apaisement, l’engagement de la cohésion ce qui permet d’installer l’équilibre et l’harmonie. Donc, on ne peut pas porter toute cette culture sans être engagé parce que tu t’engages à ce que la société soit équilibrée. Tu t’engages à ce que la société retrouve son harmonie. Pour preuve, lorsqu’il y a un déséquilibre quelque part, on fait venir le forgeron lorsqu’on a épuisé toutes les voies de recours. C’est un engagement, c’est une considération, c’est une responsabilité et cette responsabilité, tu dois la vivre. Ce n’est pas un discours, ce sont des actes et ce sont des actions que nous sommes en train de creuser, de montrer au reste de l’humanité que nos ancêtres étaient des alchimistes, des guérisseurs, ils guérissaient les plaies de l’homme. Nos ancêtres étaient des personnes capables de pouvoir réfléchir et donner une philosophie de vie qui permet d’installer l’équilibre et l’harmonie. Donc quand tu vois tout ça, tu ne peux pas porter cette culture là et aller faire les choses au hasard. C’est pourquoi je fais de mon mieux. Nul n’est parfait, mais je fais de mon mieux.

Faso7 : Tu es aussi auteur de livres, dont “Parole de Forgerons” qui a été présenté et exposé au Musée Quai Branly… Combien en as tu écris de livres au total ? De quoi parlent-ils ?

KPG : Déjà, il y a Notre chef du village, parole des forgerons, il y a aussi d’autres livres et le dernier c’est kossyam qui est l’allégorie qui traite de la question de l’insurrection. En fait, je ne suis pas écrivain, je dis ce qui est inscrit en moi. Réecrire. Il faut aller prendre ce qui est inscrit, ce qui est en toi. Donc c’est cette inscription que je mets en écriture. Qu’est-ce que j’ai comme mission ? Quelle est ma position dans ce cosmos ? Et quel est le rôle que je dois jouer ? Il faut que j’assume pleinement mon rôle. Et comme un outil de la forge, je participe au bon fonctionnement de l’ensemble. C’est pour cette raison que moi, j’écris souvent mais je ne suis pas écrivain.

Faso7: Tes enfants sont métisses, de mère française, et ils parlent mooré aussi bien que français, ça impressionne certains. Comment y êtes-vous arrivés ?

Faso7: Comment évolue les préparatifs de la 3ème édition de la grande nuit du conte ?

KPG : Les choses évoluent bien et je vais d’abord profiter dire merci à toutes les personnes qui ont cru en moi, qui ont permis de faciliter cet événement. Je dis merci à sa Majesté le Larlé Naaba qui a accepté accueillir cette grande nuit ici. Je voudrais dire merci aussi à tous les forgerons sans exception. Et je veux aussi dire merci à mon père qui est forgeron, paix à son âme. Je veux dire aussi merci à tous les esprits qui ont permis que tout cela soit possible et qui font en sorte que l’événement se passe bien et qui font en sorte de protéger tout ceux qui sont là.

Faso7: En quoi consiste cet événement ?

KPG : Les grands nuits du conte aujourd’hui, la thématique c’est « forger la culture pour cultiver la vie ». Dans la société ancienne, la forge est au centre de toutes les activités et c’est ça qui agrémente, alimente et oriente le développement d’un village. Et aujourd’hui, je me suis dis que pour pouvoir construire une bonne humanité, il faut restructurer la culture. Il faut faire en sorte qu’on se reconnecte avec nos valeurs, les valeurs qui nous permettent de pouvoir vivre dignes, les valeurs d’intégrité, le vrai burkindlim. Avant, on ne signait pas pour donner un lien qui existe entre nous, c’est par la parole. C’est par la parole qu’on lit les actes. C’est par la parole qu’on fait tout puisque c’est la parole qui est au commencement et c’est la parole qui est à la fin. Donc, c’est pour ça qu’à travers les contes qui empruntent les paroles, cette sonorité-là pour raconter l’histoire, raconter notre imaginaire, raconter notre héritage que nos ancêtres ont légué. Aujourd’hui, nous sommes dans un lieu sacré, un sanctuaire. C’est l’espace du grand fabuliste qui a façonné les mentalités, c’est le Larlé Naaba Ambga parce qu’il disait que « le monde est comme un marché. Le jour il est plein, la nuit il est vide ». Il dit aussi que : « le monde est comme un chameau, il faut monter quand il est couché ». Il termine en disant que : « Dans ce monde, si l’homme n’est pas dans le monde visible, il est dans l’invisible ». Et quand on est dans ce monde visible, il faut que chacun joue son rôle.

L’objectif de la nuit grande nuit du conte c’est 

Faso7: On voit qu’il y a des artistes internationaux qui vous accompagnent. Comment les choses vont se passer ?

KPG : En fait, les grandes nuits du conte s’articulent avec plusieurs événements. Il y a le spectacle SOUPIM, qui est le spectacle d’honneur du festival. Le spectacle soupim est un spectacle qui regroupe plusieurs nationalités à l’image de l’atelier de la forge où il y a plusieurs outils qui font que l’atelier fonctionne. Ce n’est pas un seul outil qui fait que l’atelier fonctionne. C’est cette intelligence collective, cette interdépendance, cette complémentarité qu’on doit mettre en lumière. Il est temps que les Africains prennent leurs histoires en mains. C’est pour ça que je fais venir plusieurs pays pour nous dire qu’on est tous des africains. On doit réfléchir à l’avenir de nos enfants, l’avenir même de l’Afrique. Ça c’est l’histoire de SOUPIM. Maintenant, les grandes nuits du conte, c’est plutôt les conteurs et les musiciens qui vont chanter. Nous avons la chance d’avoir Kisto koēbré qui a vécu avec le Larlé Naba Ambga qui racontait. Et nous allons encore retracer cette histoire avec ses dépositaires du savoir et de la chanson. Dans le même ordre, il y a également des musiciens et pas des moindres. Il y a Dez Altino qui est là, il y a Soul Beng de la Guinée. Ces artistes vont encore agrémenter la soirée à travers des notes musicales. Il y a Ozaguin qui vient de la Centrafrique et qui est le roi de la rumba, qui joue dans le spectacle soupim. Il y a Maréchal Zongo qui joue dans le spectacle soupim, il y a Farouk Abdoulaye. Il y a des gens qui viennent de la Guyane. Parce que l’objectif des grandes nuits du conte, c’est de créer des ponts et de tisser des liens. L’aiguille sait tisser des liens et c’est pour ça que le spectacle s’appelle l’aiguille, qui va tisser des liens entre les communautés, tisser des liens entre les cultures, tisser des liens entre des pays, tisser des liens entre des territoires.

Faso7: Quel rôle peut jouer la culture dans ce processus de la réconciliation nationale ?

KPG : La réconciliation nationale ne peut que passer dans la culture parce que c’est la connaissance de la culture qui nous permet de pouvoir comprendre l’autre et de pouvoir se réconcilier. Quand je sais que toi dans ta culture tu fais ça, je connais les valeurs culturelles que toi, tu as épousé les valeurs culturelles telle et de telle personne, la réconciliation se fait simplement.

Faso7: Quel message peux-tu lancer à l’endroit de la jeunesse en perte de vitesse dans la connaissance de sa culture ?

KPG : Le problème, on pense que c’est à la jeunesse qu’il faut envoyer ce message. Non, ce n’est pas la jeunesse le problème puisque la jeunesse ne fait qu’appliquer ce que les grands ont dit. La jeunesse va faire quoi ? Puisque la jeunesse applique. Ton enfant fait ce que tu lui as appris, il fait ce qu’il voit. Si on montre un autre visage à la jeunesse, ce n’est pas la jeunesse le problème si elle est dans la perdition. On parle de transmission n’est-ce pas ? Est-ce que la jeunesse peut recevoir sans qu’on lui transmette ? Un enfant qui parle la langue c’est parce qu’il a appris comment les gens parlent. Aujourd’hui, ce n’est pas la jeunesse le problème. Il y a une rupture de transmission. Je vais illustrer ça par une histoire.

Propos recueillis par Amadou ZEBA

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