A propos de la danse chez les Béembé

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Nous nous réjouissons de la percée fulgurante du genre muntuuta dans l’espace culturel des principales villes congolaises, dépassant les terroirs originels de Muyonzi, Mabombo, Ntsiaki, Kingwe, Mayeye, etc. Débordant de son cadre géographique naturel, le muntuuta est devenu l’expression concentrée de la musique et des danses beembe pour les natifs et nombreux sympathisants des Beembe,partout où l’immense diaspora de cet ethnos éprouve le besoin de démontrer sa joie (mariages, deuils, festivals, etc.)

La culture beembe qui est une variante de la riche culture koongo, a favorisé une musique et des danses variées, que l’on inscrit dans plusieurs activités telles que : les moments de joie (célébration d’un événement heureux comme la naissance et singulièrement la naissance des jumeaux, fêtes de fin d’année ou des récoltes), les moments de deuil(veillées funèbres, enterrements) ou à l’occasion des rituels (invocation d’une divinité ou d’un génie, initiation totémique, etc.) Le choix des instruments de musique (bi sikulu), tout comme le type de danse (makinu) étaient naturellement codifiés :

Bal’ka : (du verbe ku baluka : tournoyer) danse des jeunes désireux d’affirmer leur agilité, leur virilité et leur virtuosité par leur jeu de jambes, leurs sauts et autres cabrioles. Le bal’kaest une danse des jeunes avec un caractère physique par sa cadence et son rythme, il est animé essentiellement par le chant et le clap des mains.

Muzanga : (du verbe ku zanga : trépigner) danse très populaire pratiquée quelque soit l’âge ou la catégorie sociale ; elle est tout simplement l’expression de la joie, la gaieté et le plaisir individuel ou collectif. Cette danse d’exhibition est l’apanage des danseurs d’excellence durant les fêtes d’émulation entre villages et quartiers ; elle s’anime autour d’un orchestre comprenant un batteur de nduungu (tam-tam), d’une percussion à fente (mukontsi) et quelques instruments à vent (mvumviri ou corne d’antilope, mpuungi ou corne d’éléphant) avec deux chanteurs principaux (ténor et solo) qui se chargent de l’ambiance.

Kiyaanga : (du verbe ku yanga : chauffer) est un mélange du bal’ka et du muzanga. Cette variante a supplanté le muzangaet s’impose dans les fêtes populaires, où jeunes et professionnels de la danse traditionnelle beembe des deux sexes s’affrontent dans la joie et la gaîté. Les danseurs reprennent en chœur un chant lancé par deux principaux chanteurs (bi yimbiri, généralement un soliste et un ténor ); ils s’accompagnent d’instruments comme le ki tsatsa (calebasse ou boîte de conserve percée contenant de la grenaille), le mukwanga(grelot de tiges végétales contenant de la grenaille), le tsakala (coques avec de la grenaille), mpipi (sifflet à base de tiges végétales ou parfois des flutes à biseau), le musansi et le mvumvuri, cors et trompettes à base de cornes d’animaux, etc. Les danseurs s’exhibent en deux lignes respectives d’hommes et des femmes allant à la rencontre l’une de l’autre.

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Mufwete : (du verke ku fwete : exhiber sa souplesse de reins) danse particulièrement prisée des notables et plus particulièrement à la cour royale devant le Mani Koongo. Pleine de délicatesse et de tendresse, le mufwete reprend le code du kiyaanga avec les danseurs formant deux lignes hommes/femmes se faisant face, mais cette danse peut aussi unir un homme et une femme face à face dans leur art de la souplesse des reins. Le mufwete est une danse de la noblesse bien appréciée par les dignitaires. C’est une danse où excellent les meilleurs chanteurs et instrumentistes de la contrée. Signalons que le mufwete connaît parfois un détournement vers la licence lors de la célébration de la naissance des jumeaux qui se fait généralement au petit matin.

Mu ntuunta : (du verbe ku tuuta : marteler le sol de ses pieds) est la danse réservée aux occasions de deuil, où les pleureuses expriment leur douleur en foulant vigoureusement la terre, qui engloutit des êtres chers. Le mu ntuunta comme expression de ceux qui se rassemblent dans l’animation des veillées funèbres dans nos villages et quartiers est littéralement détourné de son sens premier réservé aux pleureuses. Le muntuuta s’accompagne de chants et sans aucun instrument. Il est devenu de nos jours un condensé ou un florilège du kiyaanga, du mufwete et du bal’ka, où les jeunes des quartiers urbains ont davantage le souci d’exprimer leur arrimage à la culture beembe dans son ensemble.

Nous apprécions les efforts tentés par certains instituteurs dans les écoles primaires ou professeurs de collèges de la contrée, qui initient leurs élèves à s’approprier et surtout renouveler ce patrimoine culturel à travers la création des petites troupes culturellesécoles de mutuunta s’exprimant lors des fêtes scolaires ou à l’occasions du deuil frappant un élève ou un enseignant, donnant lieu à une saine émulation de nos jeunes. Pourquoi ne pas encourager certains mécènes à rechercher des impresarios, des vrais professionnels de la culture à créer des orchestres, des troupes culturelles et des écoles du mu ntuunta pour revisiter notre patrimoine musical ? Des festivalsde mu ntuunta précédés de séminaires, tables rondes ou cycles de conférences devraient être initiés pour revisiter plusieurs dimensions concernant les danses et les instruments de musique. Il urge particulièrement de recenser et sauvegarder le patrimoine ancestral en matière d’instruments musicaux, où l’on assiste à leur disparition progressive.

Dr Emmanuel Célestin GOMA-FOUTOU

Historien des civilisations