Au Sénégal, le journaliste Pape Alé Niang est désormais en liberté provisoire. À la tête du site Dakar Matin, connu pour ses positions critiques envers le pouvoir, il avait été une première fois arrêté le 6 novembre dernier, et avait entamé une grève de la faim pour protester contre sa détention. Les associations de presse qui le soutiennent réclament toujours l’annulation des charges « fantaisistes et politiques » qui pèsent contre le journaliste. La liberté de la presse est-elle en danger dans le pays ?
C’est une première « victoire » pour la Coordination des associations de presse (CAP), mais « ce n’est pas la fin de l’histoire ». Si Pape Alé Niang est libre, il reste poursuivi, notamment pour « divulgation de documents militaires de nature à nuire à la défense nationale » et « diffusion de fausses nouvelles ». Depuis le début de cette affaire, son cas a mobilisé les organisations de presse nationales et internationales, des responsables de la société civile, des personnalités politiques ou encore la rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits de l’homme, Mary Lawlor.
« Non à l’intimidation »
Rencontrée lors d’un rassemblement de soutien à Dakar, la journaliste Ouleymatou Diallo confiait son inquiétude : « C’est un combat de principe pour soutenir notre confrère Pape Alé Niang, pour dire non à l’intimidation. Parce qu’aujourd’hui c’est lui, mais demain cela pourrait être quelqu’un d’autre. Jusqu’à maintenant je me sentais libre, à un certain niveau, mais aujourd’hui si je m’engage dans la voie de Pape Alé Niang en choisissant de faire du journalisme d’investigation, là je pense que je serai menacée ». « Certainement, Pape Alé Niang dérange le pouvoir en place, estime Amadou Sabar Ba de la Convention des jeunes reporters, nous voulons que la liberté de la presse soit une affaire qui n’est pas négociable au Sénégal. »
Qu’est ce qui est reproché à Pape Alé Niang ? Le procureur a justifié les poursuites par des « attaques répétées, non fondées et inacceptables dirigées contre les forces de sécurité » ou encore « la divulgation de secrets défense ». Parmi les publications visées, selon les avocats du journaliste, des messages radio de la police et des sapeurs-pompiers sur le dispositif sécuritaire avant l’audition d’Ousmane Sonko devant la justice début novembre (l’opposant est accusé de viols répétés par une employée d’un salon de massage. Il dénonce un « complot »). Autre contenu qui pose problème : des déclarations visant le haut commandant de la gendarmerie nationale.
« Jamais la liberté de la presse ne sera menacée dans ce pays »
Pour les autorités, il ne s’agit en aucun cas d’une entrave à la liberté de la presse, qui a « toujours été garantie au Sénégal », assure Abdoul Aziz Diop, conseiller spécial du président Macky Sall. « Jamais la liberté de la presse ne sera menacée dans ce pays. La profession n’est pas visée du tout ; 24 titres paraissent tous les matins à Dakar, 24 titres ! On peut être journaliste d’opinion. Jamais un journaliste n’a été inquiété dans ce pays pour avoir relaté des faits ou même pour les avoir commentés ». Mais pour Abdoul Aziz Diop, « la liberté de la presse ne signifie pas dénonciation calomnieuse, ne signifie pas la diffusion de fausses nouvelles, de fake news. La liberté de la presse ne signifie pas s’en prendre aux forces de défense et de sécurité. C’est sur les faits avérés, justes et vrais, qu’on peut fonder un journalisme d’intérêt général. »
Climat politique crispé avant la présidentielle de 2024
Il n’empêche, cette affaire a relancé le débat sur la liberté de la presse au Sénégal, qui a reculé de la 49e à la 73e place du classement de Reporters sans frontières en 2022. D’autant que le climat politique est crispé en vue de la présidentielle prévue en février 2024, souligne Sadibou Marong, directeur Afrique de RSF. « En 2021, un média a été attaqué par les disciples d’un chef religieux. On a vu, en mars, des hordes de jeunes aller directement attaquer des rédactions, on a vu également des journalistes pris à partie pendant des réunions politiques, que ce soit de l’opposition ou de la mouvance présidentielle. C’est très inquiétant, d’autant que 2023 est une année pré-électorale. Nous souhaitons que Pape Alé puisse retrouver sa famille, se consacrer à sa santé, et qu’il puisse plus tard reprendre son travail. C’est extrêmement important car cela va permettre de réduire cette tension, et cette sorte de dichotomie qu’on perçoit quand on parle des médias au Sénégal, à l’intérieur du pays, en Afrique ou ailleurs dans le monde. »
L’information judiciaire sur le dossier Pape Alé Niang est terminée depuis le 5 janvier, selon sa défense qui indique que le juge va « probablement » renvoyer l’affaire devant le tribunal correctionnel pour qu’elle soit jugée.