Emmanuel Macron va mettre à l’épreuve ce jeudi sa capacité à mener sa politique en France, avec une journée de grève contre son projet de relever l’âge légal de la retraite à 64 ans, qui va engendrer d’importantes perturbations dans le pays.
Manifestations, écoles fermées et trains au compte-goutte : la France s’apprête à vivre une journée mouvementée. Unis pour la première fois depuis douze ans, les syndicats prévoient des rassemblements dans 215 villes selon la CGT, 221 selon les autorités et même 250 selon Solidaires, et espèrent une mobilisation « massive » dépassant « le million » de manifestants. Une jauge symbolique qui donnerait de l’élan à un mouvement social appelé à s’inscrire dans la durée. La police met sans surprise la barre moins haut : des sources sécuritaires tablent sur une fourchette de 550 000 à 750 000 manifestants, dont 50 000 à 80 000 dans la capitale, mais aussi 25 000 à Marseille, 20 000 à Toulouse ou Lyon…
On fait une grève reconductible pendant une semaine, ensuite, on négocie et ensuite, on refait une reconductible si ça ne marche pas.
Face à cette large contestation, le gouvernement s’emploie à défendre sa réforme et sa mesure phare visant à porter l’âge de départ à 64 ans, contre 62 ans aujourd’hui. La Première ministre Elisabeth Borne a ainsi vanté à l’Assemblée nationale « un projet de justice » et affirmé que « quatre Français sur dix, les plus fragiles, les plus modestes, ceux qui ont des métiers difficiles, pourront partir avant 64 ans ». Les arguments peinent à convaincre l’opinion, que les sondages montrent toujours majoritairement opposé au report de l’âge légal.
Ce test politique pour l’exécutif intervient dans un contexte économique et social tendu. Les Français subissent les effets d’une forte inflation, à 5,2% en moyenne en 2022, dans un pays qui a été secoué lors du premier mandat d’Emmanuel Macron par les manifestations de « Gilets jaunes » contre la vie chère.
■ « Galère » dans les transports
La journée de jeudi s’annonce compliquée pour les Français devant prendre les transports ou qui ont des enfants à l’école. « Ce sera un jeudi de galère. (…) Ce sera un jeudi de fortes perturbations dans les transports », a estimé le ministre délégué aux Transports Clément Beaune, en appelant les usagers à différer leurs déplacements ou à télétravailler quand ils le peuvent.
L’aviation civile a demandé mardi aux compagnies aériennes d’annuler préventivement un vol sur cinq à l’aéroport d’Orly jeudi, en raison d’une grève de contrôleurs aériens. Les deux plus grosses entreprises de transports publics, la SNCF (chemins de fer) et la RATP (transports à Paris et région parisienne) ont prévu de fortes perturbations jeudi, s’ajoutant aux prévisions de l’Éducation nationale de 70% des enseignants du premier degré grévistes.
Dans les transports parisiens, trois lignes de métro seront totalement fermées. Dix autres seront « exploitées partiellement » ou ne fonctionneront qu’aux heures de pointe, a annoncé mardi la RATP. Et la circulation des trains sera « très fortement perturbée » jeudi, a aussi annoncé SNCF Voyageurs. La compagnie prévoit 1 TGV sur 3 sur l’axe Nord, 1 sur 4 sur l’Est, 1 sur 5 sur l’Atlantique, 1 sur 3 sur le Sud-Est.
■ Le secteur de l’énergie également mobilisé
Le secteur de l’énergie ne fera lui aussi aucun cadeau, si l’on en croit les déclarations de la CGT des mines et de l’Énergie, qui représente les agents de l’électricité et du gaz. Les salariés des géants EDF et Engie prévoient, notamment, des coupures d’électricité ciblées, contre les permanences des députés, qui soutiendraient cette réforme. La grève pourrait avoir, aussi, un impact sur le redémarrage, de certains réacteurs nucléaires.
Les électriciens et les gaziers jouent gros avec cette réforme. En plus d’être concernés par le report de l’âge légal à 64 ans, ce secteur verra son régime spécial, disparaître pour les nouveaux entrants. Les syndicats de la branche pétrole sont, eux aussi, fortement mobilisés. Avec des blocages dans les raffineries et les dépôts de carburants. La CGT pétrole annonce une grève reconductible qui pourrait bien entraîner à nouveau, des problèmes d’approvisionnement, dans les stations.
À l’adresse des automobilistes qui redoutent une pénurie de carburant en raison d’arrêts de travail dans les raffineries, le ministre a estimé qu’il « ne faut pas prendre de mesures de précaution » car il n’y a actuellement aucun blocage. Dans la pratique, certaines stations sont déjà à sec en raison du nombre d’automobilistes faisant le plein par précaution.
■ 70% des enseignants du primaire en grève
Beaucoup de parents devront également trouver le moyen de faire garder leurs enfants, car 70% des enseignants du primaire seront en grève et de nombreuses écoles entièrement fermées – « au moins un tiers » à Paris – d’après leur principal syndicat, le Snuipp-FSU.
C’est vrai que c’est chiant, mais c’est normal. Il faut se bouger et faire des choses pour que ça puisse bouger dans le gouvernement et on essaie de s’adapter.
La grève des enseignants, un casse-tête pour les parents d’élèves
La mobilisation serait ainsi de même ampleur qu’en décembre 2019 : lors de la première journée de grève contre la précédente tentative de réforme, les syndicats avaient dénombré 70% de grévistes, tandis que le ministère en avait recensé 55%. « Ce n’est pas une surprise, car on sent que la question de la retraite est une préoccupation majeure pour les enseignants, qui fait partie des questions en salle des maîtres », explique la secrétaire générale du Snuipp-FSU Guislaine David.
Dans le secondaire aussi, « on s’oriente vers une grève très suivie », indique le Snes-FSU. Des blocus de lycées sont notamment attendus, plusieurs organisations de jeunesse appelant à rallier la journée d’action organisée par les huit grandes centrales syndicales.
■ La bataille se jouera aussi au Parlement
Pour arriver à ses fins, la majorité devrait pouvoir compter sur le vote des LR et d’une partie des députés centriste du groupe Liot (Libertés, Indépendants, Outre-mer et territoires). Mais la question des carrières longues rebute de plus en plus de parlementaires qui menacent de ne pas voter le texte, rapporte Pierrick Bonno, du service politique de RFI.
Les 20 députés du groupe Liot, classé au centre, ont adressé un avertissement à l’exécutif par la voix de leur chef de file Bertrand Pancher lors des questions au gouvernement ce mardi. « Pour la première fois, je manifesterai ce jeudi, pour une raison simple : votre réforme est injuste, car elle repose sur le report de l’âge légal de départ. Le poids de votre réforme pèsera sur les classes populaires et moyenne. Sur celles et ceux qui ont commencé à travailler tôt », a-t-il lancé dans l’hémicycle.
C’est ce qu’on appelle les carrières longues et c’est l’un des angles morts de la réforme selon les oppositions. Mais la cheffe du gouvernement Elisabeth Borne défend son texte. « Notre projet est un projet de justice. Celles et ceux qui ont commencé à travailler tôt bénéficieront de départs anticipés », a-t-elle affirmé.
Pas de quoi convaincre le député LR Aurélien Pradié. Cet ancien candidat à la présidence du parti de droite mène l’offensive depuis des semaines pour que les carrières longues soient mieux reconnues. « Qui peut défendre une réforme des retraites dans laquelle ceux qui ont commencé à travailler tôt sont les dindons de la farce ? questionne-t-il. Ce n’est ni socialement, ni techniquement, ni financièrement acceptable et tenable. Et c’est notre rôle d’opposition d’entamer un bras de fer avec le gouvernement ».
Selon plusieurs sources parlementaires, une dizaine de Républicains pourraient ne pas voter le texte du gouvernement, tout comme quelques députés de la majorité qui commencent à faire entendre leur voix.
(Et avec AFP)
C’est un test pour Elisabeth Borne qui est en première ligne pour défendre le projet de loi. Quant à Emmanuel Macron, resté discret sur le sujet depuis l’annonce des arbitrages, il est lui en Espagne pour signer un traité d’amitié et de coopération.
C’est de Barcelone qu’Emmanuel Macron va observer l’ampleur de la mobilisation contre la réforme des retraites. À l’Élysée, on l’assure, la date de ce déplacement avait été fixée bien avant l’appel des syndicats français à manifester. Une manière dire « circulez, il n’y a rien à voir » à ceux qui s’étonneraient que le président soit à l’étranger un jour aussi sensible socialement.
Toutefois, l’entourage du chef de l’État précise qu’Olivier Dussopt, le ministre du Travail qui devait faire partie de la délégation, ne sera finalement pas du voyage, jugeant qu’il a mieux à faire à Paris. D’autres ministres pourraient eux écourter leur présence à Barcelone pour rentrer si nécessaire.
Avant même ce voyage en Espagne, depuis plusieurs semaines, Emmanuel Macron a choisi de rester en retrait sur le dossier des retraites et de laisser Elisabeth Borne défendre le projet et gérer la contestation. Une répartition des rôles « stratégique ». « C’est violent de porter une réforme des retraites », explique un député de la majorité issu des Républicains, quand un ministre estime que « c’est mieux qu’on ne voit pas le président », avant d’ajouter : Elisabeth Borne, « si ça foire, elle joue sa peau ».