L’Arabie saoudite accueille, ce vendredi 19 mai, le sommet de la Ligue arabe à Jeddah, sur les bords de la mer Rouge. Un sommet d’ores et déjà marqué par la présence annoncée du président syrien. Bachar el Assad a été invité à cette rencontre régionale pour la première fois en douze ans. Pour le pays hôte, ce sommet doit marquer un tournant dans l’histoire contemporaine de la région.
C’est une Ligue arabe au complet qui se retrouve ce vendredi à Jeddah. Dimanche 7 mai, l’organisation régionale a accepté de réintégrer la Syrie, suspendue en 2011 en raison de la répression du mouvement de contestation visant le régime de Bachar el-Assad. Mais après avoir été ostracisé pendant douze ans, le président syrien fait un retour remarqué, ce vendredi, sur la scène régionale. Un retour souhaité par un nombre croissant de pays de la région mais orchestré par l’Arabie saoudite : c’est elle qui a réussi à lever les dernières objections d’États membres, comme le Qatar et le Maroc. Et c’est chez elle que ce retour a lieu.
La photo officielle de cette rencontre rassemblera donc les vingt-deux États membres autour du prince héritier et Premier ministre saoudien, Mohamed ben Salman. Une image importante pour le jeune dirigeant qui se pose alors en chef de famille et qui accroît son poids politique. « L’Arabie saoudite est déjà la première puissance économique du monde arabe, et de très loin. Mais elle entend jouer tout son rôle. A la fois du fait de son statut comme gardien des lieux saints de l’islam, mais aussi comme un pays incontournable sur le plan politique au Moyen-Orient », analyse Bertrand Besancenot, ambassadeur de France à Riyad de 2007 à 2016.
Stabilité régionale
« C’est une projection du rôle grandissant de l’Arabie saoudite dans la région », confirme Aziz Alghashian, chercheur associé au Sepad de l’université de Lancaster : « Dans ses discours, Mohamed ben Salman souligne toujours la nécessité d’une stabilité régionale. C’était au cœur de ses préoccupations ces dernières années. Et je pense qu’il œuvre pour l’établissement d’un nouvel ordre régional. Ce changement de position vis-à-vis de la Syrie en fait partie. »
Ce succès diplomatique assoit Mohamed ben Salman comme dirigeant du monde arabe. Mais le prince héritier entend l’utiliser aussi avec d’autres pays. Dans ses relations avec l’Iran notamment. Le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays n’a pas aplani toutes les divergences entre eux et il lui importe donc de peser comme un chef de file régional et non seulement comme le dirigeant d’un pays. Mais « on a l’impression que Mohamed ben Salman veut envoyer un message à l’administration américaine qui le boude toujours pour leur dire que l’Arabie saoudite est désormais le poids lourd du monde arabe et que désormais, rien ne se fait au Moyen-Orient sans elle ni sans le prince héritier », précise Hasni Abidi, directeur du centre d’Etudes et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam) basé à Genève. « Donc c’est un message envoyé plutôt à l’étranger pour assoir son acceptabilité et sa légitimité internationale. »
Vision 2030
Ce succès diplomatique a toutefois également des retombées sur la scène intérieure. En se posant comme chef de file du monde arabe, en parvenant à réduire les tensions qui traversent la région, le puissant prince héritier renforce aussi sa stature de dirigeant auprès de sa population et tente d’adoucir son image après des débuts brutaux : l’arrestation en 2017 de soixante princes et dignitaires saoudiens accusés de corruption et expropriés de leurs biens, la guerre au Yémen, l’assassinat du journaliste et opposant Jamal Kashoggi dont la responsabilité lui a été imputée par les services de renseignement américains.
Mais surtout, Mohamed ben Salman crée un climat régional plus propice à la réalisation de son principal objectif. « Aujourd’hui la première préoccupation de Ryad est de réussir la mise en œuvre de la vision 2030 », son ambitieux plan de modernisation du pays à l’horizon de la prochaine décennie, estime l’ancien ambassadeur Bertrand Besancenot. Mais pour réussir, il lui faut attirer à la fois des investisseurs étrangers et des investisseurs nationaux. « Pour cela, il faut « calmer le jeu ». Car quand on regarde la situation géographique de l’Arabie saoudite, elle est entourée de pays qui sont soit en guerre, soit dans des difficultés, soit des pays avec laquelle ils ont des problèmes », juge l’ex-diplomate français.
Le Soudan, « une crise importante »
Ces dernières années, l’Arabie saoudite a levé le blocus imposé au Qatar, entamé des négociations avec les Houthis, les rebelles qu’elle combat au Yémen, réengagé le dialogue avec l’Iran, réintégré la Syrie dans le paysage régional, infléchi ses positions dans les dossiers irakiens et libanais ; elle tente de faire émerger un climat régional plus apaisé. Mais la crise soudanaise rappelle avec force que le monde arabe reste agité. Et les combats entre l’armée fidèle au général Al Burhan et les paramilitaires des Forces de soutien rapide du général Hemeti ont des retombées directes pour l’Arabie saoudite.
« Le Soudan est une crise importante » pour Riyad, estime Hasni Abidi. Le pays se trouve à quelques encablures de l’Arabie saoudite, de l’autre côté de la mer Rouge. Or, ce littoral est au cœur de la vision 2030 de Mohamed ben Salman : plusieurs projets doivent voir le jour sur ses côtes. « Personne ne veut voir une Syrie, ou un scénario à la syrienne, sur son palier » abonde Aziz Alghashian.
Les autorités saoudiennes se sont rapidement saisies du dossier. Riyad a évacué plus de 8 500 personnes du pays. Mais surtout, il y a une « initiative renouvelée des Saoudiens et du prince héritier pour convaincre les deux belligérants de négocier une trêve humanitaire qui pourrait déboucher sur un accord politique pour un cessez-le-feu » souligne Hasni Abidi, le directeur du Cermam. « Ce n’est pas encore gagné. Mais il y a un engagement de l’Arabie saoudite sur le dossier soudanais et je pense que Riyad est mieux placé que ses pairs arabes pour intervenir et agir comme médiateur majeur dans ce dossier. »
Le dossier palestinien revient comme une préoccupation majeure
« Le quad – c’est-à-dire les Emirats Arabes Unis, l’Arabie saoudite, le Royaume-Uni et les Etats-Unis – s’est saisi du dossier soudanais. Mais c’est l’Arabie saoudite qui est à la manœuvre au sein de ce groupe », indique Aziz Alghashian pour qui le pays « devrait capitaliser sur ces efforts au sein de la Ligue arabe ». Lors de ce sommet de Jeddah, Riyad devrait obtenir un soutien des autres pays de la région pour mener les négociations, obtenir un mandat de l’organisation. « Nous devrions voir une approche régionale et non plus bilatérale ou trilatérale » anticipe le chercheur saoudien.
Si le Soudan s’est imposé en tête de l’agenda de ce sommet, l’Arabie saoudite devrait aussi vouloir évoquer le conflit israélo-palestinien. « Ces dernières semaines, le pays a reçu aussi bien le président de l’Autorité palestinienne que les dirigeants d’autres factions palestiniennes », rappelle Hasni Abidi qui y voit un signe de l’engagement saoudien dans ce dossier. Un constat partagé par Aziz Alghashian qui évoque la perspective d’un renforcement de l’initiative de paix arabe. Ce plan de paix adopté en 2002 par l’organisation régionale à l’initiative de l’Arabie saoudite a été délaissé ces dernières années par les pays arabes qui ont privilégié des approches individuelles plutôt que collectives sur ce dossier. Mohamed ben Salman souhaite désormais la remettre sur la table. Car, estime Aziz Alghashian, « il sera très difficile de garder une image de chef du monde arabe sans avancée sur le dossier israélo-palestinien ».