Depuis bientôt 4 ans, la Présidence de la République du Congo, avec son architecture tripartite asphyxiante est en panne structurelle. Elle fonctionne comme une machine désarticulée, minée par une confusion institutionnelle chronique et des logiques claniques.
Depuis 2016, le décret nᵒ2016-238 définit un organigramme du cabinet présidentiel tricéphale :
- le directeur de cabinet (Dircab), actuellement Florent Ntsiba, qui concentre les services techniques, financiers, administratifs et le contrôle du personnel ;
- le secrétaire général du Gouvernement (SGG), Benjamin Boumakany, assure la production normative, le secrétariat du Conseil des ministres et la régulation juridique ;
- et le secrétaire général de la Présidence (SGPR), Stevie Pea Ondongo, qui a pour missions la coordination de l’action publique, l’évaluation stratégique et la cohésion interministérielle.
- Dans la pratique, aucune ligne de subordination réelle ne structure ces rôles. Les prérogatives se recoupent, les arbitrages sont paralysés, les responsabilités diluées. Le Cabinet présidentiel devient un pouvoir transversal sans contrepoids, où la loyauté personnelle prime sur la rationalité administrative : c’est le délabrement administratif et politique. Par exemple, lors de la réception du ministre égyptien des Affaires étrangères Badr Abdel Aty le 5 mars 2025 par M. Sassou, le relais administratif a été mal assuré par le cabinet. M. Sassou a déclaré officiellement soutenir la candidature de l’Égyptien, Khaled El-Enany (cf. Les dépêches de Brazzaville, Jeune Afrique, etc.), alors qu’il y a Firmin Édouard Matoko. Comme des personnes atteintes d’Alzheimer, aujourd’hui, ils feignent de courir çà et là. Au temps de Wilson Abel Ndessabeka, Elenga Ngaporo, Bitsindou Gérarld, Gabriel Longobe ou Jean Baptiste Ondaye qui suivaient les dossiers, ces couacs ne seraient jamais arrivés.
Ntsiba : entre centralisation abusive et sabotage de la technostructure
Depuis son installation en 2017, le général Ntsiba a opéré une captation fonctionnelle de l’État présidentiel. Son modus operandi repose sur des pratiques systémiques éprouvées depuis son admission comme chef de cabinet au sein de l’armée populaire nationale d’un corps dénommé direction générale des services de sécurité (du décret nᵒ 73-101 du 22 mars 1973), ayant le rôle et les prérogatives d’un ministre de l’Intérieur et de la Défense cumulés, attribués au commandant Denis Sassou par le Président Marien Ngouabi à l’époque. On y distingue l’ostracisme administratif : - les chefs de certains départements (juridique, télécommunications, santé, affaires étrangères, affaires intérieures, documentation) sont marginalisés, dépossédés de leurs notes, ou bloqués dans l’accès au Président ;
- l’interférence normative. Des textes préparés par le SGG sont révisés sans validation juridique, ou publiés en retard, créant un climat d’insécurité réglementaire ;
- la colonisation des circuits décisionnels : les notes stratégiques, tableaux de bord et évaluations produits par le SGPR sont ignorés ou remplacés par des documents non validés ;
- le clientélisme décisionnel : la proximité personnelle avec le Dircab devient la condition d’accès à l’agenda présidentiel, court-circuitant toute chaîne institutionnelle, résultat : la Présidence de la république devient un espace de pouvoir informel, structurellement fermé à l’expertise, hostile aux contre-pouvoirs, et incapable de générer de la valeur publique.
Des comparaisons avec d’autres pays
Depuis 2016, sous les décrets 2016-072, 2016-499 et 2016-598, la Présidence du Bénin repose sur une structure intégrée et hiérarchisée. Le SGPR béninois est le coordinateur stratégique et le chef de l’administration présidentielle. Le Dircab a un rôle limité aux affaires personnelles du Chef de l’État, sans pouvoir de coordination politique. De son côté, le SGG reste centré sur la chaîne réglementaire et normative, dans une séparation claire des tâches. Mieux encore, le SGPR béninois dispose d’une unité d’appui stratégique, d’un bureau d’évaluation des politiques publiques, et préside le Comité interministériel, là où au Congo, Stevie Pea Ondongo semble relégué au rôle décoratif.
Au Sénégal, depuis les réformes de Macky Sall de 2012, le SGPR est l’unique coordinateur exécutif, avec rang de ministre d’État. Sous son autorité, se limite à la gestion de l’agenda et des notes personnelles du chef de l’État. La chaîne de coordination est claire, efficace, et pilotée depuis un centre unique : le SGPR.
Au Maroc, le SGG est doté d’une indépendance juridique renforcée et assure la régulation de toute l’activité normative. Le cabinet royal est très discret et non décisionnel. La coordination des politiques publiques est confiée au chef du Gouvernement, appuyé par des directions générales stratégiques, à compétence technique exclusive.
En Côte d’Ivoire, sous Ouattara, le ministre, SGPR est aussi le coordinateur des politiques publiques et le superviseur des conseils de gouvernement. Le Dircab n’a aucune prérogative transversale. L’ensemble du cycle de décision, de la planification à l’évaluation, est intégré dans la Présidence sans ambiguïté fonctionnelle. Ces modèles convergent vers la séparation des fonctions politiques, normatives et administratives, et limitent l’influence du Dircab à un rôle périphérique et exécutif.
Des anomalies
L’absence d’une agence judiciaire de l’État permet à des affidés du cabinet présidentiel de négocier en toute opacité avec des tiers, dans des affaires engageant la République. Parmi tant de cas sur lesquels nous avons enquêté il ya :
- le dossier Berrebi, dans lesquels un proche du Cabinet s’arrogeait le pouvoir de « négocier » un compromis international sans clarté ;
- le cas Hojeij, où des promesses orales non formalisées ont entraîné des contentieux coûteux devant des juridictions internationales ;
- le dossier Odzali, marqué par une médiation parallèle conduite sans l’aval du SGG et Cie, débouchant sur un arbitrage humiliant pour le congo.
Bref, la situation actuelle ressemble à celle d’un État obstrué de l’intérieur. En confiant à Ntsiba des fonctions qui ne relèvent ni de l’armée ni d’un haut technocratique, la Présidence s’est donné un gardien de couloir plutôt qu’un architecte de la coordination : dossiers bloqués, chefs de département marginalisés, décisions présidentielles biaisées. La motivation de Tsiba peut être trouvée dans les décombres de l’ancien FROLIBABA. Il est clair, la volonté d’assujettissement du pouvoir est manifeste et réitérée plusieurs fois. L’aggiornamento annoncé par certains proches de M. Sassou ne se fera qu’avec son départ ou au changement de leadership à la tête du cabinet présidentiel et à certains postes de direction.
Ghys Fortuné BAMBA DOMBE