Après un faux-suspense, Denis Sassou-Nguesso a été réélu à la tête de la République du Congo pour 5 ans supplémentaires, avec des résultats provisoires publiés le 24 mars le créditant à plus de 88% des voix, loin devant les divers « opposants » qui briguaient la présidence. Le plus renommé d’entre eux, Guy-Brice parfait Kolélas, est décédé des suites du Covid-19 le lendemain du scrutin dans l’avion qui l’évacuait vers la France pour y être soigné.
Après 37 ans cumulés à la tête d’un pays ruiné où les services publics tombent en lambeaux, Sassou-Nguesso a réussi à étouffer toute opposition, plonger son pays dans la détresse sociale et continue à se jouer de ses partenaires internationaux. L’empereur d’Afrique centrale concentre sa diplomatie sur la protection des forêts du bassin de Congo et la lutte contre les changements climatiques pour continuer à exister sur la scène internationale et à prédater des fonds internationaux.
Alors que la République du Congo possède une vaste surface forestière, évaluée à 22 334 000 ha, soit plus de 65,4 % de la superficie du pays, auxquelles s’ajoutent plus de 50 000 ha de forêts plantées, la cause climatique n’est bien sûr qu’un alibi pour tenter de redorer son blason de dictateur vieillissant dont la seule obsession reste la conservation du pouvoir et la recherche du profit. Pour Le Monde en Commun, Gabrielle Cathala signe une analyse dense et complète de la stratégie de l’homme à la tête du Congo.
Mais comment donc a fait Sassou-Nguesso pour être réélu si facilement ?
Denis Sassou-Nguesso fait tout d’abord modifier en 2015 la Constitution congolaise, dont la version de 2002 limitait les mandats dans le temps, pour pouvoir se représenter en 2016. Plus de « 94% » de votants au referendum constitutionnel organisé à cet effet y répondent alors « oui ». L’année suivante, il remporte l’élection présidentielle avec des suffrages surprenants dès le premier tour : Sassou Nguesso est élu avec plus de 60% des voix devant Guy-Brice Parfait Kolélas (15%) et le Général Jean-Marie Michel Mokoko (13,7%). André Okombi Salissa termine 5ème avec un peu plus de 4% des suffrages exprimés.
Rapidement après l’élection, le Général Mokoko, qui avant de s’opposer à Sassou-Nguesso a été son conseiller et chef d’Etat major des armées congolaises, en conteste les résultats et est arrêté puis détenu pour « atteinte à la sûreté de l’Etat » et « détention illégale d’armes et munitions de guerre ». Il est condamné en mai 2018 à 20 ans de prison pour ces infractions. André Okombi Salissa est également détenu dès janvier 2017 pour les mêmes motifs, avant d’être condamné en mars 2019 à 20 ans de travaux forcés. Dès l’automne 2018, le Groupe de travail sur la détention arbitraire du Haut-Commissariat aux droits des l’homme des Nations Unies jugeait leurs détentions arbitraires. Amnesty international a à plusieurs reprises réclamé leur libération. Malade, Jean-Marie Mokoko aurait été transféré dans un hôpital depuis. D’autres opposants politiques ou supposés tels aux noms moins connus croupissent dans les prisons congolaises.
Quant au Pasteur Ntumi, de son vrai nom Frédéric Bintsamou, chef de la milice des « Ninjas Nsiloulous » qui après avoir fait campagne pour Guy-Brice parfait Kolélas en 2016, avait critiqué le résultat de l’élection, il est rendu responsable de violences à Brazzaville après les élections et retourne dans son département d’origine, le Pool, où sa milice se forme et entre en conflit avec l’armée de Sassou-Nguesso. Ces affrontements très peu médiatisés en France ont généré de septembre 2016 à décembre 2017 des dizaines de milliers de personnes déplacées et une situation humanitaire déplorable dans le département du Pool, composé essentiellement de Lari, par opposition à l’ethnie M’bochi dont est issu de clan Sassou. Aujourd’hui toujours dans le Pool, qui peine à se reconstruire, le Pasteur Ntumi aurait été payé par Sassou-Nguesso pour rester tranquille cette année, ou peut-être Sassou-Nguesso lui aurait-il promis un poste dans une administration.
Débarrassé de ses principaux rivaux, Denis Sassou-Nguesso pouvait par conséquent tranquillement se représenter avec des moyens de campagne électorale démesurés, et de nouveau inventer des pourcentages qui lui conviennent, dans un pays dépeuplé d’opposants crédibles et où toute contestation populaire serait écrasée dans le sang (pendant de long mois de crise, les militaires ont été les seuls fonctionnaires à toucher leurs salaires régulièrement, ce qui n’est pas anodin). Le bilan du clan Sassou est calamiteux. Sur fond de relations tumultueuses avec le FMI, les conditions de vie des Congolais n’ont cessé de se dégrader ces dix dernières années. L’angle principal de sa campagne a donc été de mettre en avant la stabilité du pays, pourtant en guerre civile entre 2016 et 2017, en se présentant comme « un homme de paix », manière de masquer son inertie. Mais Sassou-Nguesso a également bien compris qu’il fallait mettre en avant la lutte contre le changement climatique et la protection de la biodiversité pour conserver un rapport de force équilibré avec ses partenaires étrangers.
L’assurance vie de Sassou-Nguesso sur la scène internationale : la protection de l’environnement
Le Congo et le monde entier vivent sur une bombe à retardement. En 2014, des scientifiques ont fait une grande découverte : la région Cuvette Centrale (région congolaise), qui fait partie de la deuxième plus vaste forêt humide du monde, abrite aussi les plus importantes tourbières tropicales, cruciales pour la lutte internationale contre le changement climatique. Après 3 ans d’analyse, ces scientifiques essentiellement britanniques publiaient leurs travaux en 2017 dans la revue Nature.
La présence de zones humides fragiles était déjà connue dans les deux Congo mais elles n’étaient jusque lors pas qualifiées de Tourbières. D’après les estimations, ces tourbières situées en République du Congo et en République Démocratique du Congo stockeraient 30 milliards de tonnes de carbone, soit une quantité similaire à celle du carbone stockée dans tous les arbres de la forêt tropicale du bassin du Congo. Ces 30 milliards de tonnes de CO2 représentent l’équivalent de 3 ans d’émissions mondiales. Si la superficie totale de ces tourbières représenterait une surface supérieure à celle de l’Angleterre, cela correspond à moins de 10% de la superficie de la forêt tropicale du Bassin du Congo.
En 2019, le Gouvernement congolais a lancé des appels d’offres invitant de nouveaux investisseurs pétroliers dans cette zone. Greenpeace avait au contraire réclamé « l’annulation de tous les blocs pétroliers dans la forêt humide de la République du Congo ». C’est en effet en août 2019, que des dignitaires se sont réunis à Oyo (ville natale de Sassou, doté de son aéroport où Benalla aurait atterri en octobre 2018) pour assister à l’annonce, par la société PEPA (Petroleum Exploration and Production Africa, une entreprise proche de la famille Sassou-Nguesso) d’une gigantesque découverte de pétrole : le gisement Ngoki, qui permettrait de quadrupler la production pétrolière du pays. Problème : l’ONG Global Witness estimera plus tard que ce gisement est sur 6 000 kilomètres carrés de tourbières riches en carbone, soit une zone représentant le double de la superficie du Luxembourg. Ces tourbières renfermeraient, d’après les estimations, 1,34 gigatonne de carbone, soit plus que les émissions annuelles du Japon dans le cas où elles seraient toutes rejetées. Si cette région venait à être exploitée par des compagnies pétrolières, une grande partie des tourbières devrait être drainée pour aménager des infrastructures (incluant routes, tuyaux, nouvelles constructions pour la main d’œuvre) libérant de très importantes quantités de carbone dans l’atmosphère. Cela bouleverserait l’équilibre climatique.
Dès la fin de l’été 2019, lors de son allocution pour le 59ième anniversaire de l’indépendance du pays le 15 août, qui est aussi la date de sa fête nationale, Sassou-Nguesso place les tourbières au cœur de son discours « Le permis « Ngoki » pourrait, à terme, et si les données sont confirmées, rendre possible la mise en valeur d’un gisement situé à la périphérie des zones humides séquestrant les tourbières. Le Congo est partie prenante des conventions et accords sur les zones humides d’importance internationales […] Notre pays applique, avec force et rigueur, les dispositions des traités et mécanismes mondiaux mis en place, ces dernières années, dans le cadre de l’utilisation rationnelle de ces espaces spécifiques […] Dans la revendication assumée de son droit au développement, le Peuple congolais s’est placé dans le sens du devoir, au service de l’humanité, en matière de sauvegarde des écosystèmes. Le Congo reste parfaitement attentif et conscient de la nécessité de préserver les tourbières, au regard de leur incidence sur l’équilibre climatique mondial et la protection de la biodiversité. Notre pays n’a jamais enfreint l’obligation de protéger les tourbières dans ses zones lacustres. Il n’a nullement l’intention de le faire à l’avenir, nonobstant les contreparties financières annoncées et qui continuent à se faire attendre ». « L’infatigable bâtisseur » a trouvé un nouveau moyen d’assurer un rapport de force renouvelé avec l’occident, et ce dans une position favorable pour lui.
Macron recevait Sassou-Nguesso 3 semaines plus tard à Paris, le 3 septembre 2019 – la fameuse rencontre écrite le matin-même dans l’agenda de Macron – pour signer un accord de 65 millions de dollars visant la protection des forêts et des tourbières de la République du Congo, dans le cadre de l’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale (CAFI), principalement financée par la Norvège. Le siège de la présidence du Conseil d’Administration de CAFI revenait à ce moment-là à la France, raison pour laquelle il était important d’en profiter. Cette rencontre fut une nouvelle occasion pour Macron de se repeindre en vert, après le G7 de Biarritz. A noter qu’Arlette Soudan-Nonault, ministre de du Tourisme et de l’Environnement a par la suite été cordialement invitée en novembre 2019 au Paris Peace Forum de Macron.
La lettre d’intention entre CAFI et le Congo-Brazzaville, qui n’est pas un instrument juridiquement contraignant, est critiquable : la possibilité de lancer des activités pétrolières ou minières dans les zones de tourbières du Congo n’est pas formellement exclue. L’annexe de cette lettre d’intention témoigne du manque d’ambition de cet accord, qui se contente de l’objectif d’assigner, d’ici 2025 « un statut juridique spécial […] à la zone de tourbières (répartie sur les départements de la Likouala, Sangha, Cuvette et Plateaux) permettant de les protéger et gérer durablement, afin de ne pas les drainer ni les assécher ». Hors annexe, dès la page 4 du document, est indiqué dans une discrète note de bas de page : « de manière exceptionnelle, la conversion de forêts HSC et HVC pourrait advenir dans le cas du développement d’infrastructures et d’industries extractives, hors secteur agro-industriel, qui sont considérés d’intérêt vital à l’économie nationale, en veillant à ce que ces activités répondent aux principes de compensation carbone et/ou biodiversité. Cette conversion exceptionnelle de forêts HSC et HVC sera comprise dans le plafond […] Ces conversions potentielles de forêts HSC et HVC dont il est question dans cette note de bas de page seront mentionnées dans le rapport annuel et rendues publiques sur le site des ministères concernés et/ou de la Primature ». Plus généralement, les objectifs fixés étant majoritairement pour 2023 ou 2025, les délais prévus laissent la place pour des investissements pétroliers avant ces dates. La lettre d’intention reste donc un document fixant des objectifs communs, sans aucune assurance que le Congo ne les respecte dans les temps impartis.
Sassou-Nguesso est un professionnel lorsqu’il s’agit de rouler ses partenaires internationaux dans la farine, lui qui n’est évidemment pas un écolo convaincu. Il bénéficie d’appuis de taille : la ministre de du Tourisme et de l’Environnement, Arlette Soudan-Nonault, n’est autre que l’épouse de François Soudan, directeur de la rédaction de Jeune Afrique. Cette dernière, très habile communicante et en charge de toutes les questions de climat, a effacé Rosalie Safou-Matondo, ministre de l’Économie forestière. Il ne surprendra donc personne de découvrir la série d’articles « Green Congo » publiés en février dans Jeune Afrique, soit un mois avant l’échéance électorale, dont une interview de Soudan-Nonault.
Un journaliste de Jeune Afrique l’assure : le Congo portera le dossier des tourbières « à travers le monde pendant toute l’année 2021. Au nom de l’Afrique et dans l’intérêt de l’humanité », le pays a besoin de « l’accompagnement technique et financier de la part de [ses] partenaires bilatéraux et multilatéraux » et la communauté internationale « tarde à mettre la main à la poche ». A regarder, même de loin, la gestion financière des administrations brazzavilloises, on comprend pourquoi. Le journal entretient d’ailleurs l’information selon laquelle le gisement de Ngoki est à « la lisière des tourbières », une affirmation fausse selon l’ONG Global Witness.Les publications peu objectives sur Sassou-Nguesso et son clan sont légion dans Jeune Afrique, et sont facturées à plusieurs dizaines de milliers d’euros. Cette appétence pour les questions écologiques est corroborée par Les dépêches de Brazzaville, seul journal publié quotidiennement au Congo, dont le directeur et fondateur est le français Jean-Claude Pigasse, proche de Sassou-Nguesso et oncle de Matthieu Pigasse.
Lointaine parente de Sassou-Nguesso, Soudan-Nonault est complice de toutes ses initiatives : le Fonds bleu pour le Bassin du Congo dont la création a été actée en mars 2017 à Oyo, fief de Sassou-Nguesso, en est le meilleur exemple. En marge de la COP22 à Marrakech en novembre 2016, trois commissions, dont une dédiée à la région du Bassin du Congo et présidée par la République du Congo, ont en effet été annoncées. La Commission climat du Bassin du Congo (CCBC) est depuis chargée de donner vie au Fonds bleu. Elle rassemble 16 états africains, et est coordonnée par Arlette Soudan-Nonault.
La commission aurait à ce jour identifié plus de 250 projets, pour un investissement total de 8 milliards de dollars… (d’après Jeune Afrique). Force est de constater que le Fonds bleu est toujours une coquille vide début 2021. En février dernier, il était question d’« institution sous peu de la banque chargée de la gestion des financements » de ce Fonds, soit de choisir la banque associée, d’après une annonce de la Commission climat. La CCBC et le Fonds bleu sont une deuxième tentative après l’échec, en 2011, du Sommet des chefs d’État et de gouvernement des trois bassins forestiers tropicaux (bassins de l’Amazonie, du Congo et du Bornéo-Mékong) organisé à Brazzaville lors de l’année mondiale des forêts. Son but était de monter une agence internationale dans la capitale congolaise pour accroître le rayonnement du pays. Quant aux 65 millions de dollars de CAFI mentionnés plus haut, ils n’ont toujours pas été décaissés. Rien de surprenant, le décaissement est évidemment conditionné et aucun programme clairement défini n’est à ce jour finalisé.
Cette situation plonge la communauté internationale dans l’embarras : La République du Congo est en effet loin d’être un Etat responsable du changement climatique et la protection de ses écosystèmes est cruciale pour le reste de l’humanité, mais face à sa gouvernance catastrophique, son régime autoritaire et l’absence d’une opposition crédible, que faire ? Le financer pour des résultats hypothétiques ou l’abandonner ? Le feuilleton congolais, où chacun tire son épingle du jeu, se poursuivra sans aucun doute avec la prochaine COP26 de novembre 2021 à Glasgow.