Il y a cinq ans, le président français Emmanuel Macron avait formulé une vision claire de sa stratégie en Afrique. Quelques jours à peine après son investiture en 2017, il s’était envolé pour le Nord-Est du Mali, rencontrant les troupes françaises et jurant, aux côtés de son homologue malien à l’époque, Ibrahim Boubacar Keïta, de mener une « lutte sans concession » contre le terrorisme islamiste.
Quelques mois plus tard, dans un autre pays du Sahel, le Burkina Faso voisin, il avait posé un autre pilier de sa stratégie africaine basée sur une « rupture » des relations traditionnelles franco-africaines. Alors âgé de 39 ans, le dirigeant français avait déclaré aux étudiants de l’Université de Ouagadougou qu’il appartenait « à une génération qui ne vient pas dire aux Africains quoi faire ».
Aujourd’hui, l’insurrection au Sahel s’étend vers le sud, tandis que le Mali et le Burkina Faso sont dirigés par des hommes en treillis. L’opération militaire française de contre-insurrection au Sahel se réduit, se regroupe et se refond sous le drapeau européen.
Toutefois, la promesse ambitieuse d’Emmanuel Macron de transformer la relation de la France avec l’Afrique reste d’actualité.
« L’objectif devrait être d’accompagner les efforts locaux plutôt que d’élargir les intérêts français en Afrique », a déclaré l’intellectuel camerounais Achille Mbembe à la chaîne de télévision française RFI. Si cela se produit, a-t-il ajouté, « il serait possible de sortir enfin de la Françafrique », un concept qui renvoie à des liens nébuleux entre Paris et ses anciennes colonies.
Alors que Macron vient d’entamer son deuxième mandat, l’Afrique semble céder le pas à d’autres priorités plus immédiates, tant nationales qu’européennes, alors que la guerre en Ukraine occupe le devant de la scène.
Les relations franco-africaines ont à peine figuré dans une campagne électorale qui l’a vu affronter la dirigeante d’extrême droite anti-immigration Marine Le Pen lors du second tour.
« Il serait difficile de voir Macron changer complètement sa stratégie africaine » lors de son second mandat, a déclaré l’analyste Antoine Glaser à France 24 dans une interview récente. « Je pense que ce qui va changer, c’est la méthode… il sera beaucoup moins en première ligne », mettant davantage en lumière les partenaires africains et européens.
D’autres analystes s’accordent à dire que la France devrait être plus attentive aux préoccupations africaines, sachant qu’elle est désormais en concurrence avec de nombreux autres acteurs externes sur le continent, y compris dans les anciennes colonies françaises.
« La France et l’Europe ne parviennent pas à écouter correctement les priorités des différents États africains », a souligné la chercheuse Afrique-Europe Cecilia Vidotto Labastie, de l’institut de recherche Montaigne à Paris. « Cela crée un espace pour que d’autres partenaires – ou concurrents ou ennemis – agissent. »
Rompre avec le passé
Toujours au cours de son premier mandat, Emmanuel Macron a écouté et répondu à plusieurs priorités africaines clés, reconnaissant les aspects les plus douloureux de l’héritage de la France sur le continent – et, ce faisant, allant plus loin que ses prédécesseurs.
Il a reconnu le rôle de son pays dans le génocide rwandais et les crimes commis par des soldats et des policiers français pendant la guerre d’indépendance de l’Algérie, bien qu’il ait exclu des excuses officielles. Dans les deux cas, Paris met en place des commissions d’experts pour fouiller dans les archives historiques.
Ces étapes, entre autres, ont contribué à cimenter les liens entre Emmanuel Macron et le président rwandais Paul Kagame, après des années de relations difficiles entre la France et le Rwanda.
Les liens avec l’Algérie restent cependant tendus, y compris sur d’autres questions plus récentes, comme les visas français et les remarques du président français sur le régime post-colonial de l’Algérie. Néanmoins, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a félicité son homologue français pour sa réélection le mois dernier et l’a invité à se rendre à Alger.
Emmanuel Macron est également devenu le premier dirigeant français à restaurer les trésors pillés de l’époque coloniale – en rendant une douzaine oeuvres d’art au Bénin et une épée au Sénégal. Ces gestes ont contribué à déclencher un débat plus large sur la restitution et des actions similaires ailleurs en Europe.
« Le fait qu’il ait autant d’énergie et d’intérêt pour ce dossier, d’une certaine manière, a obligé d’autres pays à faire de même », a déclaré l’analyste Vidotto Labastie. « C’est quelque chose de nouveau. D’une certaine manière, cela fait désormais partie des relations Europe-Afrique ».
L’échec du franc CFA
Ce qui a été moins réussi : le soutien de Macron aux efforts de réforme du franc CFA, une monnaie utilisée en Afrique de l’Ouest et du Centre et un sommet France-Afrique qui a réuni la société civile plutôt que les dirigeants du continent en octobre dernier.
Visant à « réinventer » la relation de la France avec le continent, le sommet de Montpellier, en France, a également offert un forum aux jeunes Africains pour exprimer leurs griefs contre ce qui paraît à leurs yeux comme la tolérance de Paris à l’égard de la corruption et des dictateurs en Afrique.
« Emmanuel Macron voulait bouleverser les relations franco-africaines », a déclaré l’un des participants, l’historien ivoirien Arthur Banga à Jeune Afrique, mais a tout de même décrit les changements que le président a réalisés jusqu’à ce jour comme étant en grande partie sur la forme plutôt que sur le fond. Au cours du prochain mandat d’Emmanuel Macron, Arthur Banga a déclaré : « Les premières étapes qu’il a initiées sur cinq ans doivent maintenant produire des résultats ».
Revers au Sahel
Le plus grand défi et revers de Macron, selon les analystes, a été au Sahel.
Les présidents qu’il a rencontrés il y a cinq ans au Mali et au Burkina Faso ont été évincés et remplacés par des militaires. L’insurrection islamiste que les troupes françaises et africaines espéraient vaincre s’est propagée. Des mercenaires du groupe russe Wagner sont implantés au Mali et le sentiment anti-français est bien présent dans certains pays.
Le mois dernier, les dirigeants militaires du Mali ont suspendu les chaînes françaises France 24 et RFI, pour leurs reportages sur des violations présumées des droits par les forces maliennes. La semaine dernière, alors que les deux pays échangeaient des accusations sur des centaines de corps retrouvés enterrés dans le désert malien, le Mali a annoncé qu’il avait mis fin à un accord de coopération militaire vieux de près de dix ans avec la France – alors même que les troupes françaises quittaient déjà le pays, dans le cadre d’un retrait complet prévu sur plusieurs mois.
Vidotto Labastie, de l’Institut Montaigne, estime que les revers de Macron au Sahel sont en partie dus à un ensemble de facteurs indépendants de sa volonté, notamment la mort du président tchadien Idriss Deby, dont le pays était la cheville ouvrière de la lutte anti-insurrectionnelle régionale. Ils doivent également être considérés dans un contexte plus large de l’Union européenne, ajoute-t-elle.
« Cela dépend de la façon dont vous définissez l’échec. La France n’a jamais été seule », a-t-elle déclaré, notant l’annonce par le Danemark en janvier qu’il retirerait ses forces du Mali et de l’Afrique de l’Ouest. « Était-ce un échec pour le Danemark ? Pour l’UE ? »
Pour aller de l’avant, selon Vidotto Labastie, la France et l’Europe doivent être plus attentives aux demandes de l’Afrique dans des secteurs tels que l’énergie ou la migration.
« Plus la France et l’UE manquent de clarté dans la région, plus il y a d’espace pour la Russie et aussi la Turquie » ainsi que d’autres puissances étrangères, analyse-t-elle. « Ils seront prêts à exploiter toute difficulté de la stratégie du Sahel et de l’action française ».
L’analyste Antoine Glaser convient que la stratégie africaine de la France doit être adaptée à une réalité plus compétitive.
« La France a été en position dominante pendant 30 ans, jusqu’à la chute du mur de Berlin », a-t-il dit. « Maintenant, c’est une Afrique mondialisée… le monde change, et l’Afrique change encore plus vite ».
Article traduit et adapté de l’anglais. Lire l’original : For Macron’s Second Term — a Lower Profile in Africa?