Pourquoi l’Allemagne refuse toujours de livrer des chars à l’Ukraine

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De nouvelles livraisons d’armes de la part de ses alliés, mais pas de chars blindés allemands pour l’Ukraine pour l’instant. Qu’est-ce qui bloque ? 

Ces chars Leopard II sont de fabrication allemande, et Berlin ne souhaite pas que l’armement ukrainien sur la ligne de front soit 100% allemand. 

« On peut évoquer des raisons historiques », analyse Johanna Möhring, du centre d’études stratégiques CASSIS de l’université de Bonn, spécialiste de politique allemande européenne et de défense, au micro de Juliette Gheerbrant du service international de RFI. Elle rappelle la tradition du SPD, qui apparaît comme « le point de blocage principal » de « lutter pour la paix contre des exportations d’armements ».  Autre élément de réponse, une certaine proximité avec la Russie, mais surtout « un dernier argument, qui est mis en avant, ça serait une implication personnelle du chancelier Olaf Scholz dans un scandale financier, avec une personne qui serait réfugiée en Russie actuellement et qui pourrait livrer des informations impliquant le chancelier. »

Et la chercheuse de poursuivre : « Si on revisite les oppositions historiques à une politique étrangère un petit peu plus musclée, on voit effectivement qu’il y a des forces qui poussent vers plus de désarmement et la promotion de la paix. Côté SPD, il y a une sorte de constance depuis les années 1980. Mais les Verts, qui étaient très antimilitaristes, ont fait du chemin à partir des années 1990 en acceptant la nécessité de défendre des valeurs, et surtout les droits de l’homme (au point de considérer), que parfois, l’utilisation de la force militaire est très nécessaire. »

Par ailleurs, Berlin voudrait des garanties de l’Otan pour ne pas assumer seul cette situation face à la Russie, rapporte notre correspondante à Bruxelles, Laxmi Lota. « Ce n’est pas un non », dit le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, mais la décision reste en suspens. Berlin fait le point sur les stocks de chars lourds, assure le ministre. 

Des hésitations qui profitent à Vladimir Poutine ?

Ce samedi 21 janvier, l’Ukraine a dit regretter « l’indécision des Occidentaux ». De nombreux pays européens sont favorables à une livraison de ces chars à l’Ukraine, et les ministres des Affaires étrangères des trois pays baltes ont lancé un nouvel appel à l’Allemagne. Le président du Conseil européen, Charles Michel, y est également favorable. La Pologne et la Finlande proposent d’envoyer les chars Léopard qu’ils possèdent, mais c’est à l’Allemagne de donner son feu vert.

Le Premier ministre polonais a d’ailleurs qualifié ce dimanche d’ « inacceptable » le refus de Berlin de fournir les Leopard à Kiev. « L’attitude de l’Allemagne est inacceptable. Cela fait presque un an que la guerre a commencé. Des innocents meurent chaque jour. Les bombes russes font des ravages dans les villes ukrainiennes. Des objets civils sont attaqués, des femmes et des enfants sont assassinés », a déclaré Mateusz Morawiecki à l’agence PAP. 

La Pologne menace par ailleurs de construire une coalition plus petite, sans Berlin cette fois, rapporte notre correspondant à Varsovie, Martin Chabal. Le gouvernement évoquait d’ailleurs l’idée d’envoyer une brigade de char en Ukraine sans l’accord du chancelier Olaf Scholz.

Parce que, selon le Premier ministre polonais, Kiev manque de temps. « Nous ne regarderons pas l’Ukraine saigner à mort sans rien faire », a assuré Mateusz Morawiecki, avant d’ajouter que «  l’Ukraine et l’Europe gagneront cette guerre, avec ou sans l’Allemagne ». Le message est clair. Mais les menaces polonaises ne devraient pas être exécutées dans les prochains jours.

Selon Johanna Möhring, les partenaires de coalition allemande, les Verts et les Libéraux, sont absolument pour la livraison de ces chars et l’opposition également.

Dans l’opinion publique, selon un dernier sondage, 46% seraient pour et 43% contre. « On voit que c’est un sujet qui pose question, mais il n’y a pas non plus une opposition farouche. Du point de vue de la politique extérieure… ces tergiversations sont très délétères pour l’Ukraine, mais aussi pour l’Europe : elles confortent Vladimir Poutine dans son analyse que malgré toutes les faiblesses structurelles apparentes, la Russie peut toujours espérer gagner et que les Européens ne fourniront jamais des armes en qualité et quantité nécessaires pour permettre aux Ukrainiens de remporter une victoire décisive… Il y a aussi un prix pour l’Allemagne… parce qu’elle perd en statut, en réputation vis-à-vis de ses partenaires, surtout en Europe centrale et orientale, et elle perd aussi en crédit vis-à-vis des États-Unis dans leur relation transatlantique. »