Afrique-France: un sommet sans chefs d’État africains pour tenter de renouveler la relation

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Entrepreneurs, représentants des sociétés civiles, acteurs de la culture, du sport… 2 500 à 3 000 personnes, dont 700 en provenance du continent, sont attendues ce vendredi 8 octobre à Montpellier pour participer au 28e sommet Afrique-France. Petite révolution : aucun chef d’État africain n’a été convié pour l’occasion.

Fini le traditionnel raout entre Paris et les responsables du continent. Place désormais au « nouveau sommet Afrique-France », selon l’expression employée par l’Élysée et le Quai d’Orsay. Un changement uniquement sémantique ? Pour la première fois depuis 1973, en tout cas, aucun chef d’État n’a été convié. L’Élysée a choisi de repenser l’exercice après l’annulation du sommet de Bordeaux (prévu en juin 2020), jugeant l’ancien format « obsolète ». L’idée a finalement été arrêtée de « faire une sorte de sommet renversé où ceux qui d’habitude ne sont pas invités dans ce type d’événements internationaux seront au cœur de l’événement », explique une conseillère du président français. Conséquence : Montpellier sera « un sommet exclusivement consacré à la jeunesse et à la société civile ». 

Entre 2 500 et 3 000 personnes sont ainsi attendues ce vendredi dans la préfecture de l’Hérault. Entrepreneurs, chercheurs, étudiants, intellectuels, représentants associatifs… Un quart des participants viendront du continent : ce seront là des représentants des sociétés civiles et des entrepreneurs. Tous participeront le vendredi matin à des tables rondes autour de cinq grandes thématiques : l’engagement citoyen, l’entreprenariat, la recherche, la culture et le sport.

Ils assisteront ensuite au temps fort de la journée : un échange entre Emmanuel Macron et une douzaine de jeunes Africains venus d’horizons différents (Mali, Côte d’Ivoire, RDC ou Afrique du Sud). « Ils ont été retenus pour leur capacité à parler en public et le regard critique qu’ils portent sur les relations avec la France, assure l’Élysée. Aucun d’entre eux ne peut être soupçonné de complaisance à l’égard de la France. » Cette séquence d’échanges n’est pas sans rappeler celle de Ouagadougou en novembre 2017 lorsque le président français avait répondu aux questions d’étudiants burkinabè.  

La France « à l’écart des nouveaux mouvements »  

Lors de cet échange, Achille Mbembe – véritable cheville ouvrière de ce sommet – rendra compte du travail qu’il a mené depuis janvier. Aidé des 13 membres de son comité, le philosophe et historien camerounais a lancé de mars à juillet plus d’une soixantaine de rencontres avec des jeunes et des représentants des sociétés civiles dans 12 pays du continent. Le fruit de ces « dialogues » a donné lieu à un rapport que l’intellectuel a remis ce mardi 5 octobre au président français.

Dans ce document de 150 pages, Achille Mbembe ne mâche pas ses mots. Il estime que « dans une large mesure, la France est à l’écart des nouveaux mouvements et des expérimentations politiques et culturelles » portés par la jeunesse africaine et qu’elle « a oublié de se connecter à ces courants d’avenir ». De tous les différends, « aucun n’est, selon lui, aussi corrosif que l’appui présumé de la France à la tyrannie sur le continent ». Pour « apurer les différends », ce penseur du postcolonialisme estime que « la reconnaissance de la perversion du colonialisme, de sa nature, littéralement, de crime contre l’humanité, est importante ».   

L’intellectuel camerounais formule dans ce rapport 13 propositions pour « refonder » la relation entre la France et le continent. Il avance notamment l’idée de créer un « fonds d’innovation pour la démocratie » dont la dotation initiale serait de 15 millions d’euros ; de développer « un programme « Campus nomade » pour favoriser la mobilité des enseignants et chercheurs » qui « s’articulerait autour d’un programme Erasmus africain » ; de mettre en place « un forum euro-africain sur les migrations qui servirait d’enceinte de dialogue » ; « de tisser un nouveau narratif entre l’Afrique et la France, en confiant ce travail à une commission présidée par des historiens franco-africains » ; de « transformer l’aide publique au développement » ou encore de « refonder les relations avec l’Europe du XXIe siècle sur la base d’un nouveau traité entre les deux organisations continentales ».

Un sommet de clarification ?  

Emmanuel Macron devrait retenir certaines de ces propositions et faire, selon son entourage, des « annonces ». Celles-ci permettront-elles à la France de se « reconnecter » avec les nouvelles générations africaines comme Achille Mbembe l’appelle de ses vœux ? Au-delà des « propositions concrètes », le président français va surtout devoir clarifier et expliquer la position de Paris sur certains sujets sensibles comme le soutien apporté à Mahamat Idriss Déby au Tchad, la réorganisation du dispositif militaire français au Sahel ou encore la question des visas, des titres de séjour que de nombreux jeunes Africains peinent à obtenir. 

« Les sujets qui fâchent seront sur la table », promet l’entourage d’Emmanuel Macron, estimant que « le contexte politique actuel rend la discussion particulièrement sensible ». Car ce sommet se déroule dans un contexte agité : Paris est à couteaux tirés depuis des mois avec les autorités maliennes et centrafricaines. Des tensions notamment causées et entretenues par l’arrivée d’un nouveau rival dans la région : la Russie. Pour ne rien arranger, les relations avec l’Algérie se sont fortement dégradées ces derniers jours après l’annonce d’une réduction drastique du nombre de visas et des propos du président français jugés « insultants » par Alger.     

Pour ne pas se fâcher avec tous les présidents africains, l’Élysée a pris bien soin de préciser que ce rendez-vous de Montpellier ne serait « pas le sommet des oppositions politiques ». Aucune figure majeure de la lutte contre les pouvoirs en place n’a ainsi été conviée. Ni aucun responsable politique.

Qui participe alors à l’évènement ? « Des personnalités engagées, dans des mouvements citoyens de politique locale », précise une conseillère du président français pour qui « le changement en Afrique se construit dans des formes de militantisme nouvelles ». Paris escompte désormais « être davantage en prise avec ces formes de changement » et « davantage en soutien de ces acteurs du changement ». Une initiative plutôt bien perçue par Oxfam qui attend maintenant une traduction en actes de cette ouverture aux sociétés civiles. « Le Sahel devrait être un peu le laboratoire pour réellement changer ces dynamiques », plaide Robin Guittard de l’ONG Oxfam, « l’enjeu est de passer aussi par les sociétés civiles du Sahel et les populations locales pour apporter des réponses qui aillent un peu plus loin que celles qui ont été apportées jusque-là et qui pour le moment sont un échec, notamment la stratégie française ».

Un « coup de com’ » à sept mois de la présidentielle ?  

L’activiste gabonais Marc Ona Essangui salue une nouvelle formule « innovante ». Mais le président de Tournons La Page International, s’interroge : « Est-ce que le casting réalisé permet à la France de changer de paradigme ? » Car, selon lui, le problème central vient de là : la France n’a pas su changer de politique à l’égard du continent depuis la décolonisation. 

« L’Afrique a évolué en termes de générations, mais la France est restée coincée sur le même paradigme, c’est-à-dire : il faut défendre les intérêts, rien que les intérêts. La population africaine ne compte pas, estime-t-il. On impose des dictateurs, on soutient les dictateurs qui massacrent leur population et la vie continue. On privilégie les intérêts économiques, mais quand il s’agit d’évoquer les questions de démocratie, les questions de gouvernance, les droits de l’homme, la France ferme les yeux. » Très critique à l’égard de Paris, Marc Ona Essangui n’attend donc pas grand-chose de ce rendez-vous.

Et les grands absents, les chefs d’État africains, en attendent-ils quelque chose ? Au-delà, quel regard portent-ils sur cet événement qui va pour la première fois se dérouler sans eux ? La mise sur la touche a parfois été dure à avaler. « Au début, ça a été mal vu », confie hors micro une source diplomatique française. Chez certains, la page semble aujourd’hui tournée. Dans l’entourage d’un président d’Afrique centrale, on salue même l’initiative. « L’innovation est toujours la bienvenue dans ce genre de grand-messe qui était devenue un peu désuète et mal perçue par une large partie des opinions publiques en Afrique, juge un de ses conseillers. C’est un beau coup de com’ pour Macron. À sept mois de la présidentielle, il n’avait pas trop envie de s’afficher avec certains chefs d’État. »

Une lecture de l’événement qui revient chez un conseiller d’un président d’Afrique de l’Ouest : « C’est une opération de relations publiques à la veille d’échéance électorale, tacle-t-il, ça ne nous fait ni chaud ni froid. De toute façon, ils [les deux présidents] se parlent. » Un ministre ouest-africain se fait lui plus sévère. « Je trouve ce sommet vain alors que l’un des enjeux de lutte contre le terrorisme, c’est justement de restaurer les États », juge-t-il avant de conclure : « Je ne crois pas que l’on puisse fonder les relations internationales sur autre chose que des relations inter États ».  

Je ne dis pas que c’est seulement de la communication. Pour moi, ce que fait aujourd’hui le président Macron, c’est mettre en confiance l’ensemble des opérateurs économiques africains de façon générale pour leur dire : «Vous pouvez compter sur nous, nous sommes prêts à vous accompagner, à accompagner vos États, mais pour vous accompagner, vous, acteurs de développement économique de vos pays.»