1991-2021: année 30 de la conférence nationale souveraine

0
3876

En cette année 2021 qui marque le trentième anniversaire de la Conférence nationale souveraine tenue du 17 février au 10 juin 1991 à Brazzaville, deux faits étonnent et interpellent tout observateur minutieux de la situation politique congolaise : le silence sur l’événement et la coïncidence avec une échéance électorale de fin de mandat présidentiel. L’effacement aujourd’hui de toute trace de cet événement caractéristique de notre histoire postindépendance à travers la remise en cause de l’esprit de cette Conférence, la dissolution manu militari de ses institutions et le maintien au pouvoir de l’auteur de leur abolition explique en partie ce silence.

En effet, il y a trente ans exactement, le peuple congolais fort de ses vingt-cinq d’instruction civique reçu à l’école du marxisme-léninisme s’engouffra opportunément dans une brèche ouverte par un mouvement mondial, la fin de la guerre de la guerre froide, pour marquer sa propre histoire d’un sceau de changement radical. Suivant de très près l’évolution de l’actualité internationale de la fin de la décennie 1980 marquée par la perestroïka soviétique de Gorbatcev amorcée aussitôt son arrivée au pouvoir en mars 1985 et son aboutissement dans la chute inopinée du Mur de Berlin appelé ironiquement le mur la honte, les Congolais firent promptement écho de ce vent de changement des relations internationales.

La fin de la guerre froide entre les deux superpuissances mondiales de l’époque, les Etats-Unis et l’Union Soviétique, supprima la bipolarité du monde en deux blocs antagoniques sur le triple plan politique, économique et culturel sous l’égide respectif de chacune d’elle. Heurté à l’immensité d’une crise sociale engendrée par l’échec d’un modèle de développement, celui de l’économie dirigée, Mikhaïl Gorbatchev fut contraint d’entreprendre des réformes structurelles du système communiste en vue de répondre aux besoins du peuple soviétique et de relever les défis mondiaux de son pays et ceux du bloc dont il assurait le leadership. Cette réforme ou la reconstruction du système, la perestroïka, consista essentiellement dans la libéralisation partielle de l’économie et la démocratisation de la vie politique. Conçues pour insuffler un nouveau dynamisme dans le fonctionnement du système communiste, ces réformes échappèrent à son auteur pour produire un effet inattendu : la dislocation aussi bien de l’union soviétique que de tout le bloc socialiste dont les peuples découvrant étonnement les délices de la liberté décidèrent de rompre radicalement avec toute forme d’asservissement.

Les Congolais, pendant ce temps, sentant souffler le vent du changement, commencèrent à se préparer pour une implémentation locale de la perestroïka. A l’affut d’un événement catalyseur pour déclencher le mouvement, le peuple se consacra simultanément dans un travail de rétrospective sur l’héritage encombrant de son passé communiste et dans la réflexion sur les stratégies de sortie de cette impasse dans laquelle les vingt ans du marxisme-léninisme sous l’égide du PCT les avait fourvoyés. Dérive totalitaire et militarisation du pouvoir avec pour devise « le pouvoir au bout du fusil ; il ne se donne pas, il s’arrache », endoctrinement idéologique forcée, privation de libertés publiques et individuelles, érection du parti-Etat au détriment des institutions classiques étatiques avec comme principe le parti dirige l’Etat, légion de coups d’Etat sanglants et d’assassinats politiques de cadres civils et militaires, de deux présidents de la République et d’un éminent cardinal, corruption, favoritisme, mal gouvernance économique et détournements massifs de fonds publics, tel était le tableau de notre société en proie aux changements.

C’est dans ce contexte que les Congolais reçurent en liesse, le 20 juin 1990, le discours du président français François Mitterrand prononcé au sommet Afrique-France de La Baule conditionnant toute aide économique aux Etats africains par des réformes institutionnelles visant à démocratiser leurs régimes politiques. Les Congolais réagirent conséquemment et promptement. Un trio de trois militants, Bernad Bakana-Kolelas, Clément Miérassa et Jean-Pierre Tchystère–Tchikaya écrivirent au président Sassou-Nguesso pour revendiquer des réformes démocratiques avec la convocation d’une conférence nationale à laquelle devaient participer toutes les forces vives de la nation pour régler la crise sociopolitique qui minait le pays. Les congolais retrouvèrent leurs libertés publiques confisquées depuis des décennies et s’organisèrent en associations et partis politiques à dessein.

Ainsi fut convoquée une conférence nationale déclarée souveraine, c’est-à-dire que déléguée légitime du peuple, elle en incarnait la volonté et la puissance en vertu desquelles ses résolutions ou actes étaient revêtues du sceau de l’autorité populaire et avaient, de ce fait, force obligatoire. Ainsi l’appellation Conférence nationale souveraine. De ce fait, elle dissolut les institutions de la République Populaire du Congo pour rétablir la République du Congo avec ses symboles, dont les armoiries, le drapeau et l’hymne national. Elle examina les faits, crimes et injustices commis depuis l’indépendance. Elle établît des commissions spécialisées pour le suivi des questions et sujets délibérés. Elle institua une période de transition politique assurée par un gouvernement d’union nationale dirigée par un premier ministre votée par les délégués avec pour rôle de gouverner sous l’autorité d’un Président de la République maintenu mais aux pouvoirs réduits. André Milongo fut élu Premier Ministre. Ce fut la révocation du socialisme version marxiste-léniniste, l’abolition de la dictature et la restauration de la démocratie et de l’Etat de droit.

Assisté par un Conseil supérieur de la République tenant lieu de parlement présidé par Mgr Ernest Nkombo, le gouvernement de transition avait pour mission, entre autres, la mise en place des institutions de la nouvelle république et l’organisation d’un referendum pour l’adoption d’une nouvelle constitution et des élections municipales, législatives et présidentielles. La mission fut réussie tant bien que mal par le gouvernement avec l’élection d’un nouveau président de la République, Pascal Lissouba, en août 1992, pour un mandat de cinq ans.

Cette phase fut le couronnement de l’action du peuple qui reconquit son pouvoir au parti unique. La nouvelle démocratie congolaise postcommuniste était née dans une perpspective d’irréversibilité nettement déclarée. C’était la victoire de la démocratie sur la dictature, l’avènement de l’Etat de droit substitué à l’Etat policier et rangé, celui-ci, au musée de l’histoire des institutions. C’était aussi le retour de l’éthique dans la politique. Notre démocratie s’enracina dans certaines valeurs cardinales comme « l’unité, le travail, le progrès, la justice, la dignité, la liberté, la paix, la prospérité et l’amour de la patrie » et rejeta « le totalitarisme, la confusion des pouvoirs, le népotisme, l’ethnocentrisme, le régionalisme, les inégalités sociales et les violations des libertés fondamentales ». « L’intolérance et la violence politiques [qui avaient] fortement endeuillé le pays, entretenu et accru la haine et les divisions entre les différentes communautés qui constituent la Nation congolaise » et « le coup d’État [qui s’était] inscrit dans l’histoire politique du Congo comme seul moyen d’accéder au pouvoir et [avait] annihilé l’espoir d’une vie véritablement démocratique » furent expressément condamnés dans le préambule de la Constitution.

Cependant, l’espérance ne fut que de courte durée car la démocratie ne fonctionna que le temps d’un mandat, soit cinq ans. Le régime légitime de Pascal Lissouba, après maintes crises et difficultés affrontées pendant l’exercice de son mandat, succomba face aux manœuvres des fossoyeurs de la démocratie. La Conférence nationale souveraine qui avait destitué la dictature marxisante n’avait pas pris la précaution d’en détruire le système. Son leader, président sortant, qui n’avait aucunement répondu de ses forfaits était juste laissé en liberté, amnistié mais pas condamné, affaibli par la perte du pouvoir mais pas neutralisé. Frustré, il n’était pas mis hors d’état de nuire. Dans son exil, il a négocié avec le pire ennemi de la souveraineté africaine que la France ait connu, Jacques Chirac, le farouche critique du discours de La Baule qui déclara : « La démocratie est un luxe pour l’Afrique ». Il était devenu, comme fortuitement, président de la France. Ensemble, ils empêchèrent Pascal Lissouba de gouverner paisiblement puis le limogèrent manu militari avec l’assistance d’un consortium de mercenaires étrangers et de l’armée angolaise. Conséquemment, c’est la guerre du 05 juin 1997 qui ramena Sassou-Nguesso au pouvoir et sapa la démocratie héritée de la Conférence nationale souveraine. Depuis un quart de siècle, Sassou-Nguesso gère un pouvoir sans partage et dirige le pays d’une main de fer. Il a restauré la dictature. La suite de ce tableau est son bilan catastrophique qui défraie suffisamment la chronique pour ne plus s’y attarder. Toutefois, ce bilan constitue le noyau de la problématique autour de laquelle s’articule une réflexion nationale aujourd’hui.

Quelle signification accorder à la coïncidence des trente ans d’anniversaires de la Conférence nationale avec l’échéance de l’élection présidentielle ou d’une fin de mandat ? Il est interpellant de constater que trente ans après cet événement, les conditions qui ont conduit à sa convocation se sont reproduites à l’identique dans les faits et dans le temps, comme si l’histoire se répétait. En effet, la Conférence nationale souveraine s’est tenue trente ans après l’indépendance. Le premier régime postindépendance, libéral, démocratique et de courte durée fut destitué par des pouvoirs qui ont basculé dans la dictature entrainant le pays dans une crise socioéconomique dont la résolution nécessita l’intervention du peuple en 1991 à travers la Conférence nationale. Aussitôt après, un régime démocratique fut établi mais ne dura que le temps d’un seul mandat avant son renversement par une dictature militaire qui se maintient au pouvoir depuis vingt-quatre ans. Et le malaise social qui prévaut aujourd’hui est plus grave que celui de la veille de la conférence nationale. Est-ce une invite au soulèvement de la population si le pouvoir n’accepte pas l’alternance après le scrutin ? En matière sociale, les mêmes causes produisent-elles forcément les mêmes effets comme en sciences exactes ? Au peuple de se prononcer.

Le caractère manifestement irrégulier des élections de dimanche suscite une vive contestation. Quelle sera la validité des résultats d’une élection irrégulière organisée par un gouvernement illégitime ? Le peuple est-il en droit d’y participer ? Il est évident que le pouvoir de Sassou-Nguesso est intrinsèquement illégal et illégitime dans sa conquête ou sa création et dans son exercice ou son fonctionnement. Sans tergiverser longtemps, une réponse sous de maxime s’impose : à situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle. Par voie de conséquence, utiliser des mécanismes prévus par un système juridique lui-même miné par l’illégitimité pour assurer une alternance nécessaire est une démarche légitime. Il faut admettre que lorsque le volontarisme -c’est-à-dire l’arbitraire qui consiste à faire primer la volonté du politique ou de l’administrateur sur une règle de droit- conduit à une impasse juridique, une solution politique s’impose pour résoudre la situation. Devant une situation de fait, la fin justifie les moyens. Par ailleurs, le peuple étant souverain, son pouvoir absolu l’emporte sur toutes les règles de droit. Dès lors, il jouit de la légitimité requise pour abolir des lois, modifier des procédures et reverser des dictatures par tout moyen. Il n’y a aucune illégitimité dans toute démarche visant à se débarrasser d’une dictature cinquantenaire comme celle du PCT.

Cogitons. Trente ans après la Conférence nationale souveraine, quels enseignements tirés de son héritage dilapidé et de son esprit bafoué ? Quelles solutions pratiques apportées aux problèmes socioéconomiques qui préoccupent les Congolais aujourd’hui ? Bref, que doit nous inspirer l’esprit de la Conférence nationale souveraine dans la recherche d’une solution pragmatique à la crise sociopolitique actuelle caractérisée par une reproduction des faits historiques quasi-identiques à ceux d’il y a trente ans en arrière dont une ironie du sort remarquable : Sassou-Nguesso comme même Chef de l’Etat ? Histoire, répète-toi !

Joyeux anniversaire, Peuple !

David NTOYO-MASEMBO