Le remplacement du ministre de la Défense Sergueï Choïgou, en poste depuis 12 ans, par un économiste traduit le poids du conflit avec l’Ukraine sur les finances du pays.
Alors que la Russie vient de lancer une nouvelle offensive sur Kharkiv, le remaniement gouvernemental orchestré dimanche 12 mai par Vladimir Poutine – une rareté, insiste le New York Times a attiré l’attention. Le président russe, une semaine après son investiture, a choisi de remplacer son ministre de la Défense. C’est désormais Andreï Belousov, économiste de formation, qui va occuper cette fonction tandis que Sergueï Choïgou, en poste depuis 2012, deviendra secrétaire du conseil de sécurité russe, rapporte le quotidien Novyé Izvestia.
Il s’agit d’un “remodelage surprise au sommet du pouvoir russe”, estime El Mundo. M. Choïgou est réputé proche de M. Poutine, au point de l’avoir accompagné dans des parties de pêche en Sibérie. “Alors pourquoi le remplacer ? ”, demande Sky News. Réponse du média britannique :
“Clairement, Poutine est mécontent de la direction de la guerre.”
Car si, sur le papier, entrer au conseil de sécurité a des airs de promotion pour le futur ex-ministre, “en réalité, c’est une rétrogradation”, affirme Sky.
Mutinerie et corruption
M. Choïgou a perdu en popularité depuis le début de l’invasion et sa gestion d’un conflit bien plus long que prévu. Il a été la cible régulière des critiques d’Evgueni Prigojine, l’ancien homme fort de Wagner, à la tête d’une mutinerie en juin 2023 avant de disparaître dans un mystérieux accident d’avion. Les révélations sur un scandale de corruption impliquant l’un de ses adjoints ont aggravé son cas.
En replaçant M. Choïgou au conseil de sécurité, le leader russe permet à son allié de longue date de sauver la face tout en se garantissant la présence d’un homme de confiance au sein d’un organe puissant, juge le Guardian. Mais le choix de son remplaçant à la Défense – un civil de 65 ans, bref Premier ministre pendant le Covid et dont la loyauté vis-à-vis du chef de l’État ne fait aucun doute – dit aussi beaucoup de la stratégie de Vladimir Poutine concernant l’Ukraine.
“Le budget du ministère de la défense et du bloc de sécurité était encore récemment autour de 3 %, puis il est passé à 3,4 % et plus récemment à 6,7 %. Mais nous nous rapprochons progressivement de la situation du milieu des années 80, lorsque cette part des dépenses consacrées au budget militaire dans l’économie était de 7,4 %. Ceci n’est pas critique, mais extrêmement important”, a justifié un porte-parole du Kremlin, cité par Gazeta.ru. Autrement dit, l’argent est le nerf de la guerre. Un tiers du budget du pays serait lié à l’effort de guerre aujourd’hui.
Minimiser les pertes
“Il est nécessaire de remettre en ordre la situation financière du ministère. Désormais, la stratégie militaire des autorités russes consiste à minimiser les pertes. Et pour cela, il faut accorder une attention maximale à la logistique”, explique ainsi le consultant politique Evgueni Minchenko dans Kommersant. Le Washington Post souligne quant à lui une volonté de “réduire la corruption endémique” au sein du ministère et de “combattre les combines, longtemps tolérées en Russie, pour s’assurer que les ressources militaires cruciales parviennent bien jusqu’au front”.
Pour El País, M. Belousov a “un profil compatible avec l’idée selon laquelle le Kremlin prévoit une longue guerre”. Une analyse partagée par l’expert en relations internationales Jimmy Rushton, dont les propos sont repris par Radio Free Europe/Radio Liberty : Poutine croit que “la victoire en Ukraine passera par produire plus et plus longtemps que l’Ukraine et ses alliés occidentaux. Il se prépare pour un conflit de plusieurs années”.
La Frankfurter Allgemeine Zeitung veut voir dans le remaniement du week-end “la peur de la défaite” chez le président russe. “Une raison de plus pour continuer à aider l’Ukraine”, poursuit le journal allemand, même si “de nombreux observateurs considèrent la Russie comme ayant un avantage : militairement sur l’Ukraine et politiquement sur ses alliés occidentaux, qui ont de plus en plus de mal à faire face à la longueur de la guerre”.
Approche différente, et peut-être plus basique, pour le Moskovski Komsomolets : “le président a sa propre logique – une logique dont le sens se résume, dans l’ensemble, à la pensée suivante : dans la politique russe et dans la verticale du pouvoir russe, il n’y a qu’une seule personne vraiment irremplaçable. Cet homme, c’est Vladimir Poutine lui-même”.
Courrier international