Comment l’Etat et les Canadiens ont broyé le CHU

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En fait, les Canadiens avaient demandé à rompre depuis janvier 2021.

Le gouvernement congolais signait en avril 2019 avec le Centre hospitalier et universitaire de Montréal, à travers son Unité de santé internationale (USI), un contrat pour relever le CHU de Brazzaville de ses très mauvaises prestations. La recommandation venait du président de la République, et elle n’est pas mauvaise en soi.

Mais ce sont le ministre de la Santé de l’époque, Jacqueline Lydia Mikolo et certains cadres de ce ministères qui font le choix des Canadiens, en se basant de leur succès en Côte d’Ivoire. Le contrat devrait durer trois ans, donc jusqu’en avril 2022. Et le Congo devrait mettre à la disposition des Canadiens tous les moyens nécessaires.

Entre temps, deux choses essentielles devraient être faites par le gouvernement : payer les salaires des agents du CHU au même moment que les fonctionnaires de l’Etat, et reverser toute la dette des fournisseurs à la Caisse congolaise d’amortissement (CCA), où ils devraient être payés. Donc le CHU de Brazzaville devrait être exempt de tout bruit et de toute grève. Et pourtant, dès les premières semaines, la galère s’installe au CHU.

Le gouvernement ne paie pas les agents, les syndicalistes se montrent indélicats et hostiles au projet, dont la réalisation est quasiment confisquée par les quelques cadres congolais dont l’inspecteur général Richard Bileckot. De nombreux cadres comme Jean Bernard Nkoua, adepte d’une théorie de « tout détruire et tout rebâtir », sont mis à l’écart. Les Canadiens, adoubés par le ministère de la Santé, imposent leur marque, cognent sur les agents congolais. Le climat est tendu, l’air pollué et l’atmosphère insupportable.

Un syndicaliste, Victor Bienvenu Kouama est abusivement licencié en octobre 2020. Les Canadiens doivent avancer, ils n’ont pas assez de temps. Ils font venir un deuxième directeur. Denis Bernard Raiche remplace Sylvain Villiard, un peu agacé et rouillé par les mouvements d’humeur des agents. Quelques acquis sont quand même à épingler dans cette période difficile. L’AFD (229 millions en mars 2020) et la BDEAC (12 milliards) acceptent d’apporter de gros financements pour rénover le CHU. Le prêt de la BDEAC n’attend plus que la demande de la nouvelle équipe dirigeante, sinon tout est déjà fait.

Il faut également noter le toilettage des effectifs du CHU où 158 faux diplômes ont été décelés. L’équipe canadienne a également mis en place une culture de gestion par performance. Sans compter la sécurisation des fonds par la Banque postale du Congo. Pour avoir annulé les commissions (ce qui a mis en colère les syndicalistes), les Canadiens ont réussi à récupérer 1,4 milliard de perdition chaque année. Ok, mais tout cela pour quoi? Pour rien, dira-t-on, car le gouvernement a failli dans son rôle de pourvoyeur d’argent. En janvier 2021, le chef de l’USI débarque à Brazzaville et demande aux autorités de rompre le contrat.

Le ministre des Finances qui gère directement ce contrat est saisi. Instruit par sa hiérarchie, il promet de verser l’argent très rapidement pour permettre à l’équipe canadienne de poursuivre sa mission. Mais, les Canadiens ne recevront rien. Mi-juin, ils envoient la lettre de préavis. Les autorités n’ont pas été capables de payer régulièrement les agents du CHU sans une grève. Les 4 milliards des trois d’arriérés des salaires n’ont pas été payés, malgré la promesse.

La subvention d’équilibre de 1,5 milliard que l’Etat devrait donner au CHU chaque trimestre n’est pas arrivée, et pour 2020, les arriérés étaient cumulés à 5,5 milliards. C’est-à-dire que des 6 milliards attendus, seulement 500 millions sont tombés sur le compte du CHU. Encore moins le traitement par la CCA de la dette des fournisseurs estimée à 4 milliards.

Tout est donc resté au point zéro! Est-ce à croire qu’un général a été envoyé au ministère de la Santé pour tenter de racoler les morceaux ?Maintenant qu’un Congolais, le professeur Thierry Raoul Ngombe a été nommé à la direction du CHU, il est à craindre que cet éminent cardiologue n’hérite d’une patate chaude. Si les premières conditions n’étaient pas réunies, il sera difficile pour lui de travailler sereinement. Il faut des moyens, et des gros moyens pour relancer le CHU.

@Arsène SEVERIN