Centrafrique: une ONG dénonce un «accord tacite» entre le groupe Castel et des groupes armés

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La société Sucaf (Sucrerie africaine de Centrafrique) filiale du groupe français Castel est accusée par une ONG américaine, The Sentry, d’avoir apporté son soutien financier à des groupes armés pendant plusieurs années en échange de la sécurisation de ses activités.

The Sentry, ONG spécialisée dans la traque des financements illicites en zones de conflit, dénonce en particulier un « accord tacite » conclu selon elle avec l’Unité pour la paix en Centrafrique (UPC) d’Ali Darassa. La direction générale du groupe Castel annonce l’ouverture d’une enquête interne.

La négociation de cet « accord tacite » remonte à fin 2014, selon The Sentry. À l’époque, les différents groupes armés présents en Centrafrique contrôlent 60% du territoire. La localité de Ngakobo, dans la préfecture de la Ouaka, où est implantée la Sucaf, filiale du groupe Castel, est aux mains de l’UPC d’Ali Darassa.

Les termes de l’arrangement que dénonce l’ONG sont simples: le groupe armé s’engage à « sécuriser l’usine et les champs de cannes à sucre de la Sucaf » et à « garantir la libre circulation sur les axes routiers nécessaires » à son approvisionnement. En échange, la Sucaf participe au « financement » de l’UPC accuse The Sentry, via un « système sophistiqué et informel »: des « paiements directs et indirects en espèces », mais aussi « un soutien en nature », mais également l’« entretien de véhicules et la fourniture de carburant ».

La Sucaf aurait monnayé son monopole

Dans un second temps, une fois sa production ainsi sécurisée, l’entreprise aurait également monnayé son « monopole » « sur la distribution de sucre dans plusieurs préfectures » de Centrafrique, « notamment la saisie forcée du sucre de contrebande, en particulier en provenance du Soudan ».

Parmi les principaux bénéficiaires de cet « accord », pointé dans le rapport de l’ONG, on retrouve le chef de l’UPC, Ali Darassa, ainsi que l’ancien coordinateur politique du groupe, Hassan Bouba, actuel ministre de l’Élevage.

Le caractère informel du système décrit par The Sentry en limite les traces dans les comptes de la société et rend difficile l’estimation des montants ainsi déboursés. Sur la base de témoignages, l’ONG estime cependant à 150 000 millions de francs CFA (soit 258 000 dollars) les paiements effectués par la société sucrière sur cinq ans aux deux personnalités précitées.

Un soutien financier aux groupes criminels pendant plus de six ans

Selon plusieurs rapports internes à la Sucaf que The Sentry dit avoir consultés, l’entreprise était informée des exactions attribuées à ce groupe armé, notamment le massacre d’Alindao en 2018. Ce qui n’aurait pas empêché l’« accord » de perdurer jusqu’en mars 2021, et le déploiement dans la Ouaka des forces gouvernementales et russes dans ces territoires, autrefois sous le contrôle de l’UPC.

« Malgré cette connaissance, l’enquête révèle que la direction de la Sucaf RCA a continué à fournir un soutien financier et logistique à des groupes criminels (principalement, mais pas exclusivement l’UPC) pendant plus de six ans, contribuant ainsi à alimenter le conflit armé en République centrafricaine », déplore l’ONG dans son rapport.

« L’UPC avait installé une base militaire sur le site de la société sucrière », écrit également The Sentry dans ce document.

Une « illustration du comportement prédateur » des groupes armés

Si ce dernier rapport s’intéresse aux activités de la Sucaf, « c’est une pratique courante » reconnaît Nathalia Dukhan, enquêtrice pour l’ONG américaine. C’est une « illustration du comportement prédateur » des groupes armés en Centrafrique qui « vendent leur protection et utilisent les armes pour générer du cash », estime la chercheuse. Contrairement à d’autres acteurs qui « agissent ainsi de façon éphémère », le groupe Castel « a agi ainsi pendant une période de six ans », souligne-t-elle cependant.

Le 19 août dans un bref communiqué, le groupe Castel annonce avoir « pris connaissance des allégations graves » portées contre la Sucaf et avoir saisi son comité d’éthique afin qu’il diligente une enquête interne. La direction du groupe promet de communiquer sur le fond à l’issue de cette enquête.