Paludisme en Afrique : l’inquiétant bilan des moustiquaires imprégnées  

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Plus de 2,79 milliards de moustiquaires imprégnées ont déjà été distribuées en Afrique subsaharienne depuis 2004, selon des chiffres de l’Alliance pour la Prévention du Paludisme. Alors qu’une partie des acteurs impliqués dans la lutte contre le paludisme célébrait ce chiffre, on oublie que ce vaste déploiement n’a pas permis de réduire significativement le paludisme dans la région. Sans parler du défi environnemental et peut-être même sanitaire que représentent ces milliards de moustiquaires imprégnées d’insecticides.

Pendant près de 20 ans, la recommandation de la lutte contre le paludisme en Afrique subsaharienne a été d’utiliser des moustiquaires imprégnées. En théorie, l’idée semble tout à fait brillante. En effet, que ce soit au Burkina Faso, en Gambie, en Côte d’Ivoire, au Cameroun ou encore au Bénin, la communauté scientifique soutient l’idée de lutter contre le paludisme à travers l’utilisation de moustiquaires contenant des insecticides.

Les administrations ont été convaincues, et la majorité des programmes nationaux de lutte contre le paludisme ont adopté cette stratégie avec le soutien de programmes d’aide internationale.

Pourtant, le rapport 2024 de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur la lutte contre la maladie est assez clair : les progrès sont mitigés entre 2000 et 2023, selon l’interprétation des chiffres. « L’incidence de la maladie (cas pour 1000 habitants exposés au risque de paludisme) a chuté, passant de 356 en 2000 à 227 en 2023. Bien que les taux d’incidence aient très peu évolué entre 2019 et 2023, le nombre total de cas a augmenté, conséquence d’une croissance démographique rapide parmi les populations exposées au risque de paludisme », peut-on lire dans le document.

On apprend également que les progrès sont très variables dans la région. Par exemple, « huit pays ont enregistré de très fortes hausses de leur nombre de cas de paludisme » entre 2019 et 2023. C’est le cas notamment de l’Éthiopie (+6,9 millions), du Nigéria (+6,8 millions), de Madagascar (+4,2 millions), de la République-Unie de Tanzanie (+1,9 million), de la République démocratique du Congo (+1,8 million), de l’Ouganda (+1,3 million), du Mali (+1,4 million) et du Cameroun (+1,2 million). Ces pays sont pourtant ceux où des distributions massives de moustiquaires imprégnées ont eu lieu.

Finalement, sur la base d’un ratio simple, ce sont au moins 2,3 moustiquaires imprégnées qui ont été distribuées pour chaque habitant en Afrique subsaharienne. Pourtant, en 2023, selon les dernières données disponibles, 569 000 personnes sont décédées du paludisme dans la région, sur plus de 246 millions de cas recensés. Les enfants de moins de cinq ans représentent 76 % des décès, selon ces mêmes chiffres.

Ces chiffres ne mentionnent pas les pertes économiques. Bien que la gravité de la maladie soit similaire indépendamment des nationalités, le coût du traitement du paludisme varie selon les pays et les niveaux de vie. Une étude publiée en novembre 2024 a estimé le coût moyen de traitement par patient à 90 $, qu’il ait survécu ou non. Sur cette base, on peut évaluer que le paludisme aura coûté plus de 22 milliards $ aux ménages africains en 2023, malgré la présence de moustiquaires imprégnées.

A cette inéfficience statistique des moustiquaires impregnés, s’ajoute un problème environnemental qui n’est pas toujours documenté. Peu de travaux sont disponibles sur les effets secondaires des produits chimiques utilisés pour neutraliser les moustiques. En effet, les moustiquaires devenues inutilisables, car déchirées ou sales, ne bénéficient pas d’une gestion appropriée.

Dans certains pays, les ménages les reconvertissent en filets de pêche ou en outils de protection des champs. Dans les deux cas, des risques de contamination des cultures ou des ressources aquatiques existent, mais cette question n’est pas publiquement discutée.

Depuis 2018, l’Organisation mondiale de la santé a autorisé l’utilisation de moustiquaires imprégnées de Butoxyde de Pipéronyle (PBO). L’objectif était de pallier le développement de la résistance des moustiques à la première génération de moustiquaires imprégnées.

Près de 450 millions de ces moustiquaires renforcées ont été distribuées en Afrique subsaharienne entre 2018 et fin septembre 2024. Bien que l’utilisation du PBO soit réglementée, certaines études scientifiques devraient susciter des inquiétudes chez les dirigeants africains, notamment en raison des effets potentiels de ce produit sur la faune des rivières et autres écosystèmes aquatiques.

D’autres approches existent pourtant pour faire reculer le paludisme en Afrique. Dans des pays comme le Rwanda ou le Botswana, on observe une réelle diminution de la maladie. Il est possible que des politiques axées sur la promotion d’environnements propres et peu favorables au développement des moustiques aient joué un rôle important. Sur le plan scientifique, des chercheurs africains basés en Côte d’Ivoire travaillent sur une moustiquaire classique, sans produit chimique, mais conçue pour capturer les moustiques et permettre leur élimination par lavage. Cependant, ces recherches étant en cours, leurs détails restent pour l’instant confidentiels.