Congo: le glas a sonné pour le pouvoir

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Parfois prompte à s’emballer une partie de l’opposition congolaise annonçait la fin quasi imminente du régime de Sassou suite aux déclarations de Jean Yves le Drian concernant le général Mokoko, ex-candidat à la présidentielle de 2016, et depuis condamné à 20 ans de prison pour « atteinte à la sûreté de l’Etat ». Cette fois, les opposants pourraient avoir raison!

Un article d’Eric Laffitte

Début septembre, le ministre français des affaires étrangères, Jean Yves le Drian, avait en marge de la visite de Sassou N’Guesso à  Paris, demandé à ce dernier d’agir  « avec fermeté »  en faveur du général Makoko, prestigieux prisonnier politique du régime congolais. «  Je lui ai parlé de M. Mokoko et d’autres personnes en lui disant qu’on attendait de sa part des actes », déclarait le Drian. Le ton, quasi martial, était interprété un peu vite comme un changement de pied radical de la diplomatie française vis à vis du régime congolais. Une certitude, l’oukase tranchait  toutefois avec l’accueil ostensiblement chaleureux que dans le même temps Emmanuel Macron réservait au Président congolais sur le perron de l’Elysée.




Rien à voir en effet avec la main fuyante et boudeuse qu’offrait à regret  François Hollande au dictateur congolais lorsqu’il le recevait. Mais les apparences sont souvent  trompeuses. C’est le  même Hollande qui sans broncher avait donné son feu vert à Sassou lorsqu’il  décidait de changer en 2015 la  Constitution pour briguer un énième mandat  et poursuivre un règne sans partage depuis plus de trois décennies

Sassou, à nouveau candidat

Pour peu que dieu (ou le diable)  lui prête vie, Sassou sera candidat à la prochaine présidentielle de 2021.Et s’il est candidat, comme c’est lui qui compte les voix, il sera réélu. D’ailleurs la campagne a déjà commencé. Ici et là fleurissent quelques initiatives pour préparer le terrain : Le député Auguste Ngabelet  annonçait récemment le lancement imminent d’un mouvement «  Denis Sassou N’Guesso Horizon 2021 »

Pour l’heure, le général Mokoko croupit toujours dans sa cellule et de l’avis d’un dirigeant de l’opposition, il est peu probable qu’il en sorte prochainement : «  Mokoko n’est pas en prison pour le seul motif d’être accusé d’avoir fomenté un coup d’Etat ou refusé de reconnaître le résultat de l’élection présidentielle, mais parce qu’aux yeux de Sassou il a trahi son clan -, au sens tribal du terme. Un crime jugé « impardonnable ». « Sassou n’a pas hésité à éliminer  des membres de sa propre famille, il ne fera aucun  cadeau à Mokoko, ce serait la porte ouverte à de futures trahisons »  estime encore notre interlocuteur.

Sassou à la table de l’Elysée

Quoi qu’il en soit, Sassou était de retour à Paris fin septembre. Pas pour parler « écologie » mais à l’occasion des obsèques de Jacques Chirac. Détail peu ou pas relevé, lors des agapes qui ont suivi la cérémonie au Palais de l’Elysée, 69 chefs d’états ou de gouvernement furent conviés à partager une « salade corrézienne ».

Seuls quelques very happy few eurent le privilège de s’asseoir à la table d’Emmanuel Macron, selon l’AFP : parmi eux Bill Clinton, le roi Abdallah II de Jordanie, les Premiers ministres belge Charles Michel et libanais Saad Hariri, libanais Saad Hariri, le Président italien.




Et  Sassou N’Guesso… !

On peut s’interroger sur le caractère fortuit de cette petite « attention » à l’égard d’un dirigeant  vilipendé à tour de bras dans le même temps sur les médias « main stream ». Riche en pétrole, le petit Congo-Brazzaville est en effet  gouverné par une oligarchie ethnico-familiale, qui défraie régulièrement la chronique par la façon dont elle détourne  la manne pétrolière vers des paradis fiscaux. Pour le reste, le pays figure au dernier rang des pays de la planète dans tous les classements mesurant la corruption, la pauvreté, les droits politique, la transparence.

Surtout Brazzaville sort d’une longue et laborieuse négociation de deux années avec le FMI et d’où il ressort que le pays est exsangue financièrement, que ses dirigeants ont  tenté de rouler le FMI en tronquant la réalité de son endettement (120 % du PIB) comme ils ont menti sur les recettes pétrolières  (80 % du budget de l’Etat) et dont une partie est détournée au profit des oligarques du régime.

Jusqu’à cet accord l’Etat ne pouvait plus payer ses fonctionnaires, ni les entreprises (françaises notamment)  engagées sur  les chantiers du « Chemin d’avenir » promu par le Président congolais.

Bref un bilan « globalement catastrophique » et sur la base duquel on peut s’interroger sur la nécessité pour le FMI de maintenir en vie un régime aussi décrié et peu performant. De fait  c’est bien grâce à Paris que Sassou  a décroché les 450 millions de $ lui apportant ainsi la bouffée d’oxygène évitant de sombrer. Ce prêt va d’ailleurs en déclencher d’autres :

Une économie sous tutelle

De la France mais aussi de la Banque mondiale, ce qui peut laisser espérer Sassou tenir jusqu’  en 2021 et surtout conjurer une crise majeure aux conséquences incalculables.

Bien sûr il n’a échappé à personne que la présidente du FMI était la Française Christine Lagarde et que côté Sassou ses principaux conseillers étaient Dominique Strauss Kahn et le banquier Pigasse. Autant dire qu’on a négocié quasiment en famille. Mais sous l’œil passablement irrité des américains à qui il n’a pas échappé que 30 % de la dette congolaise était détenue par les Chinois.




Principal sponsor financier du FMI, Washington en pleine croisade économique contre le péril jaune goûte peu que son argent serve à financer les investissements chinois sur le continent !  « Le cadeau de départ des Yankee à Christine Lagarde » ironise un observateur, laquelle a depuis rejoint la BCE.  Ce qui explique d’ailleurs le montant parcimonieux de ce prêt : 450 millions de $ sur 3 ans. A  rapporter à une dette évaluée à 9 milliards de  $

Qui plus est, le dit prêt est délivré au compte goutte et révisable tous les  6 mois sous la condition que Brazzaville respecte ses engagements : Ainsi pas moins de 48 mesures qui visent à réformer en profondeur l’économie congolaise et en premier lieu sa gouvernance.

L’application de la moitié de ces mesures et même du tiers aboutirait à une véritable révolution copernicienne et on voit mal comment le système Sassou fait de baronnies et de fiefs octroyés aux affidés pourrait résister à sa mise en œuvre.

Le pouvoir a  ainsi mis des semaines pour simplement obtenir l’éviction  des responsables des Douanes et des Impôts, deux administrations mises en cause pour « mégestion », plaisant vocable employé pour indiquer que le trésor public ne voyait guère la couleur des taxes et impôts prélevés par les intéressés.

Des amis du pouvoir bien sûr, mais qu’il fallu tout de même déloger de force tant ils étaient persuadés d’être dans leur « bon droit ».  Voici desetits exemples  des exigences du FMI :

Mesure 14 : « toutes les décisions  de la cour suprême et toutes les décisions de toutes les cours sur des affaires de corruption depuis 2018 ».

Mesure 15 « publication tous les trimestres des recettes pétrolières, forestières  et minières (…) et celles recouvrées par le trésor public ».

Mesure 19 « mise en place des dispositions nécessaires (….) assurant de façon automatique le transfert du produit de la vente du pétrole vers un compte unique du trésor » Etc. etc.

Ainsi près de 5O mesures  de la même eau et dont on peut dire qu’elles s’apparentent  –sur le papier  à une mise sous tutelle de l’Etat congolais.  Certes, on objectera que Brazzaville a déjà passé des accords avec le FMI sans se soucier de respecter ses engagements.

Chicayas au sein du clan

La situation politique  a toutefois profondément changé. A 75 ans, qu’il soit candidat ou pas en 2021 Sassou N’Guesso est en fin de cycle et sa succession désormais ouverte. Elle divise profondément jusqu’à son propre camp Mbochi. Ainsi Sassou  a-t-il tenté de pousser la candidature de son fils, Denis Kristel, dit « Kiki ». Sans aucune assise populaire dans le pays,  la candidature de « Kiki » est aussi rejetée par nombre de barons du pouvoir. Et pas des moindres.  Jean Dominique Okemba, le « sécurocrate » du pays, Pierre Ngolo qui cumule les fonctions de secrétaire général du Parti Congolais du Travail ( PCT)  et de Président du Sénat. En cas de vacance subite du pouvoir, c’est Ngolo qui serait appelé à assurer l’intérim…

Cette fracture  du clan Mbochi s’étale désormais sur la place publique. Dans un pays où le simple droit de manifester relève du parcours du combattant, on a vu récemment les partisans de Kiki se mobiliser pour réclamer bruyamment la démission de Ngolo de la tête du parti. Ceci à un coup de fusil du Palais Présidentiel.

Début septembre l’enregistrement d’une conversation téléphonique a fait le « buzz » sur les réseaux sociaux. On y entendait la ministre de la promotion de la femme inviter un jeune partisan de Denis Kristel à mobiliser ses troupes pour faire « dégager » Pierre Ngolo. Le deuxième personnage de l’Etat donc…

Et la ministre de résumer dans cette conversation parfaitement la situation : « Si le Président a décidé de placer son fils et qu’on s’y oppose ca veut dire que le Président est faible ». La ministre de la promotion de la femme et de trop de franchise a depuis été démissionnée.

L’impasse politique, jusqu’à quand?

2021, la prochaine présidentielle, c’est demain. Très largement minoritaires, les Mbochis qui trustent depuis 20 ans tous les leviers du pouvoir ( Armée, police, pétrole etc. ) après s’être imposés  au prix d’une terrible guerre civile et d’un bilan calamiteux ne peuvent pas l’emporter dans le cadre d’une élection démocratique.

Se résoudre à une telle éventualité c’est pour eux s’exposer au risque non seulement de tout perdre mais aussi à un revanchisme incontrôlé, fruit de frustrations et de haines accumulées en 20 ans de dictature.

Qui se résoudrait à lâcher le pouvoir au risque de voir dépouiller, massacrer les siens ?

Pour sortir de cette impasse politique, l’opposant Modeste Boukadia  propose depuis des mois une solution qui semble faire son chemin. A l’Elysée auprès de Macron en personne, mais également à l’ONU et chez les américains dont il a l’oreille. Et jusque chez certains dirigeants Mbochis.

Soit l’organisation d’une grande Conférence internationale sous l’égide du Conseil de sécurité des  Nations Unies afin de dégager les voies d’une transition pacifique et une porte de sortie à Sassou.  Sur le modèle  de la commission « Vérité et réconciliation » mis en œuvre en Afrique du sud et qui a permis d’éviter un bain de sang. Avec plus ou moins de succès l’ONU a déjà expérimenté de telles conférences (Arusha et Marcoussis).

Le prix à payer pour conjurer un scénario à la rwandaise en serait une amnistie générale. Cerise sur le gâteau, une amnistie fiscale s’appliquerait aux oligarques disposant de fonds dans les paradis fiscaux, pour peu qu’ils les réinvestissent dans l’économie congolaise.

Audacieux, créatif, mais pas gagné.