Rencontre entre Xi Jinping et Joe Biden: les dossiers chauds que la Chine veut mettre sur la table

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Xi Jinping et Joe Biden se retrouvent, mercredi 15 novembre, à San Francisco, en marge de l’Apec – le forum de coopération économique pour l’Asie Pacifique. Une première visite aux États-Unis pour Xi Jinping depuis 2017, avec pour les deux chefs d’État la nécessité d’harmoniser les priorités.

L’important, c’est que Xi Jinping et Joe Biden se parlent, disent les optimistes. Ces retrouvailles post-Covid-19 sur le sol américain, ont été confirmées à la dernière minute par la diplomatie chinoise. Même si depuis quelques jours déjà, tous les signaux étaient au vert. Non seulement les échanges commerciaux entre les deux pays ont atteint un nouveau record l’année dernière – 690 milliards de dollars – mais les échanges humains reprennent. Au-delà du ballet diplomatique des hauts responsables chinois et américains ces derniers mois, ce sont ces derniers jours des avions entiers d’hommes d’affaires, d’étudiants et de spécialistes de la Chine qui sont arrivés des États-Unis.

Interdépendance et loi du marché

Ce qui met tout le monde d’accord, c’est encore la réalité du marché, s’accordent à dire les experts chinois. Même si Pékin et Washington s’accusent mutuellement de ne pas respecter les règles de la libre-concurrence, le va-et-vient des porte-conteneurs n’a pas cessé au plus fort des tensions. Les importations du Mexique aux États-Unis ont certes coiffé celles du Canada et de la Chine en septembre dernier, mais l’interdépendance entre les deux premières économies du monde reste très forte. « Les échanges commerciaux sont la pierre angulaire des relations entre les deux pays, assure Wang Yiwei. Malgré la guerre commerciale et technologique, le volume des échanges n’a cessé d’augmenter. Aujourd’hui, ils dépassent les 800 milliards de dollars, ce qui démontre la résilience des grands principes économiques et la difficulté de s’éloigner des lois du marché. Le soi-disant effort pour réduire les risques côté américain, en diversifiant, ne peut qu’introduire davantage de risques », poursuit ce professeur au département relations internationales de l’université du Peuple à Pékin.

L’interdépendance des économies comme point de convergence. Face au ralentissement de l’économie, Xi Jinping et sa délégation vont tout faire pour essayer de rassurer les investisseurs aux États-Unis qui se méfient de la Chine. Côté américain, voilà longtemps que l’administration Biden a abandonné le concept trumpien de « découplage », pour adopter la stratégie européenne du « dérisquage ». « Découpler la Chine des États-Unis équivaut à essayer de découpler la Terre de la Lune, ce n’est pas possible, lance Gao Zhikai. Et si ça l’était, ce serait extrêmement dangereux : le moment est venu de déterminer et de condamner l’entité et les personnes aux États-Unis qui ont formulé cette idée, insiste le vice-président du Centre sur la Chine et la Globalisation (CCG) à Pékin. Traiter la Chine comme un risque est le plus grand risque en réalité ». 

Taïwan comme ligne rouge

Au-delà de l’affichage, la Chine joue aussi la carte de la diversification en renforçant ses échanges dans le cadre du groupe des émergents (Brics), en s’affichant comme le porte-parole du « Sud global » et en récupérant des pans entiers du marché russe sanctionné par les Occidentaux depuis l’invasion de l’Ukraine. Avant de se taper dans les mains, on fait les comptes. L’heure n’est pas vraiment aux « délivrables », mais plutôt à la mise en place de mécanismes permettant d’éviter la confrontation et la réflexion sur l’orientation stratégique de la relation bilatérale. Signe de la détérioration du lien entre les deux capitales, Washington a fait de la restauration du dialogue militaire une priorité de cette rencontre au sommet, notamment dans le contexte des tensions dans le détroit de Taïwan.

Une détérioration pointée également par les experts et universitaires à Pékin. Si les relations sino-américaines se sont stabilisées ces derniers mois, elles demeurent tendues avec, côté chinois, l’obsession de Taïwan que Pékin considère plus que jamais comme une province rebelle. « Les relations sino-américaines sont aujourd’hui soumises à d’énormes pressions et à un stress considérable, de nombreux défis et difficultés doivent être surmontés, reconnait Gao Zhiokai. L’ancien interprète anglophone de Deng Xiaoping est un habitué des plateaux de CGTN, la filiale des programmes vers l’étranger de la télévision centrale de Chine. Il n’hésite pas à reprendre les éléments de langage de la diplomatie chinoise : « Xi Jinping défendra une fois de plus la politique de la Chine unique devant le président Biden, dit-il. Car la ligne rouge infranchissable, comme l’a maintes et maintes fois répété le gouvernement chinois, c’est la question de Taïwan ! » À San Francisco, la partie chinoise tentera d’obtenir des États-Unis l’engagement de ne pas soutenir le Parti progressiste démocrate au pouvoir à Taïwan. À la veille de l’élection présidentielle taïwanaise, la diplomatie américaine mettra en garde Pékin contre toute ingérence sur le scrutin.

« Petite cour et haute clôture »

Les deux « T » : Taïwan et autonomie technologique sont au cœur de l’agenda du parti communiste chinois. La délégation chinoise milite pour la levée de la doctrine Biden de « la petite cour et de la haute clôture » – « Xiao Yuan Gao Qiang » en mandarin. Ce concept, très commenté au pays de la « grande muraille », vise à restreindre prioritairement les exportations de technologies américaines susceptibles de renforcer les capacités militaires de la Chine. Quels accords concrets sortiront de ce deuxième face-à-face entre chefs d’État depuis le retour des démocrates à la Maison Blanche ? Les consulats chinois de Houston et américain à Chengdu vont-ils rouvrir à l’issue de la rencontre ? « À l’approche des élections aux États-Unis l’année prochaine, on ne sait pas quelle attention et quelle énergie le président Biden sera en mesure de consacrer à la gestion de la relation sino-américaine », souligne Wang Yiwei.

De nombreux commentateurs sur les réseaux sociaux chinois, très surveillés, affichaient samedi encore leur scepticisme sur l’amélioration des relations bilatérales, malgré la confirmation de la visite du numéro un chinois aux États-Unis du 14 au 17 novembre. Certains dénoncent « l’hypocrisie des Américains qui vous serrent la main en préparant un mauvais coup ». D’autres constatent que la ville de San Francisco veut faire peau neuve, à l’image des mégalopoles chinoises avant les grands événements, en éloignant les SDF et en fermant les points de drogues au centre-ville. Les internautes chinois s’interrogent aussi avec humour sur le changement de ton de la propagande vis-à-vis des États-Unis ndans un contexte économique difficile. Pluie de commentaires sarcastiques sur le réseau weibo :  « Ca y est, on a le droit de ne plus haïr les USA ! »« bien reçu : j’annule ma commande de Huawei Mate 60 et j’achète un iPhone 15 ! » ; ou encore : « c’est gagné, vive l’amitié sino-américaine ! ».

Questions à Wang Yiwei, directeur de l’Institut des Affaires internationales à l’université du Peuple à Pékin

Avec ce sommet de San Francisco, peut-on parler d’un nouveau départ pour les relations sino-américaines ?   

Wang Yiwei : Les relations entre la Chine et les États-Unis se sont stabilisées ces derniers temps, mais il est difficile de dire que l’on va rester sur une tendance ascendante. Les deux parties doivent clarifier leurs intentions. La partie américaine a récemment insisté sur l’importance de mettre en place des règles communes et de maintenir une coopération continue. Il est désormais nécessaire de discuter des points concrets de cette coopération. Il peut y avoir des contradictions, mais il est essentiel que les conflits se déroulent dans le cadre de mécanismes préétablis, permettant d’éviter des changements brusques basés uniquement sur les législations nationales, les ordonnances administratives ou les changements politiques.

L’administration Biden est passée de la stratégie du « découplage » à celle du « dérisquage », est-ce que cela change la donne ? 

Les échanges commerciaux sont la pierre angulaire des relations entre les deux pays. Malgré la guerre commerciale et technologique, le volume des échanges n’a cessé d’augmenter entre la Chine et les États-Unis. Aujourd’hui, ils dépassent les 800 milliards de dollars. Cela démontre la résilience des grands principes économiques et la difficulté de s’éloigner des lois du marché. Le soi-disant effort pour réduire les risques côté américain en diversifiant, ne peut qu’introduire davantage de risques. Si l’on veut se diversifier en s’éloignant des risques présents sur le marché chinois, cela peut en fait introduire davantage de risques. Et compte tenu des avantages comparatifs du marché chinois dans la chaîne industrielle, je pense qu’il est difficile de s’en séparer. 

Outre Taïwan, quelles sont les priorités pour la délégation chinoise ?   

L’une des priorités du gouvernement chinois est d’arriver à une autonomie en matière technologique. La position de Pékin est claire. Un ensemble de technologies de bases critiques doit être maîtrisées dans le cadre des propres capacités du pays, en s’appuyant sur la recherche et le développement local. Si l’autonomie complète s’avère difficile, le recours au marché international sera l’alternative en ne se limitant pas aux seuls États-Unis.

Qu’en est-il de la reprise des échanges humains ?   

L’augmentation du nombre de vols, la délivrance de visas entre la Chine et les États-Unis, ainsi que l’augmentation des échanges entre journalistes, étudiants et groupes de réflexion pourraient devenir plus actives. La question reste toutefois de savoir si des institutions comme le consulat américain de Chengdu et le consulat chinois de Houston vont rouvrir. Il reste beaucoup de chemin à faire : sur les 100 mécanismes de dialogue que les deux parties veulent activer, seuls 5 ont été mis à jour. Et à l’approche de l’élection présidentielle américaine l’année prochaine, on ne sait pas exactement quelle sera l’attention et l’énergie que le président Biden compte accorder à la gestion des relations avec la Chine. Il pourrait aussi dans le cadre de la campagne y avoir une concurrence entre candidats sur qui aura la position la plus dure vis-à-vis de la Chine ce qui pourrait contracter encore les relations entre les deux pays.

Par RFI