Pierre Oba, l’homme des missions impossibles

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Nous avons entrepris de raviver notre publication à TerrAfrica, datant de juillet 2015. Je me délecte des confidences que Pierre Oba m’a faites, en dehors des enregistrements, concernant ses multiples voyages en Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid ainsi que sur d’autres missions présentées comme impossibles. Un habile homme de sécurité.

L’ancien conseiller en matière de sécurité de Sassou rompt enfin le silence sur le rôle discret que le Congo a joué dans la libération de l’Afrique australe. Rencontre en 2015 avec un homme méconnu.

Juillet 2015. Une brise légère, comme celle qui souffle partout au Congo en cette période de grande saison sèche, rafraîchit l’atmosphère. Il est 16h45 lorsque le général de division de la police, Pierre Oba, ministre des Mines et de la Géologie, nous accueille avec affabilité et un sourire chaleureux à son domicile, situé dans le quartier central de Brazzaville. Vêtu d’un costume gris bleu apparemment taillé sur mesure, il arbore des souliers en cuir brillant qui laissent entrevoir des chaussettes en coton satiné, un bon mariage de couleurs pour une tenue soignée. Au mur, des photographies souvenirs témoignent de sa grande proximité avec Denis Sassou N’Guesso, dont il est devenu le « fidèle et loyal serviteur » depuis sa sortie, en février 1976, de l’École interarmées de Blida, en Algérie, commente un proche du maître des lieux.

Dans une vie antérieure, cet ancien militant-activiste de l’Ujsc (Union de la Jeunesse socialiste congolaise) a failli devenir un footballeur de renom au sein de l’AS Bantou, qui comptait un nombre impressionnant d’inconditionnels. « Je me suis fracturé la cheville un jour lors d’une séance d’entraînement. J’ai ainsi passé de longues semaines avec un pied endolori et plâtré, privé du bonheur infini de distribuer des passes millimétrées à mes coéquipiers sur le terrain », se remémore-t-il avec nostalgie. Néanmoins, « Peter », comme certains Brazzavillois l’appellent, a su conserver son goût pour l’action et l’offensive en « arborant le treillis plus par passion et conviction que par contrainte, après avoir quitté, contre l’avis de mes camarades, la troisième année de droit à l’université Marien Ngouabi », se souvient-il.
À 62 ans(en 2015), l’ancien directeur de la police et de la sécurité présidentielle sous Sassou I (1979-1992) ne mâche plus ses mots. Selon les observateurs, « Oba est l’un des meilleurs complices de Denis Sassou N’Guesso depuis le mouvement du 5 février 1979 ».

Son livre : Le Protocole de Brazzaville : Une victoire méconnue, aux éditions Karthala en 2015, révèle davantage sur la confiance dont il bénéficie encore auprès de son Chef. Cet ouvrage de 259 pages est riche en informations confidentielles et retrace les diverses péripéties des longues et laborieuses négociations secrètes dont Pierre Oba a été une pièce maîtresse. Un processus « initié par les États-Unis et nécessitant l’implication » des Cubains, Soviétiques, Angolais, Namibiens, Français, Sud-Africains et Congolais.

C’est particulièrement dans un contexte politique intérieur marqué par une « diabolisation à outrance » du régime d’apartheid que Denis Sassou N’Guesso lui confie sans hésitation ces missions secrètes à la demande des Américains, relayés pour la bonne cause par la France. L’objectif étant d’établir un dialogue avec les dirigeants sud-africains de l’époque ainsi qu’avec d’autres acteurs clés du dossier. Le but ultime étant d’atteindre la libération de l’Afrique australe, notamment à travers l’indépendance de la Namibie et la fin du conflit en Angola. « Nous marchions sur des œufs ! Car toute information ayant transpiré à Brazzaville auprès de nos camarades du parti aurait été considérée comme une haute trahison », reconnaît aujourd’hui l’auteur du livre Le Protocole de Brazzaville : Une victoire congolaise méconnue. Pourquoi Sassou a-t-il choisi son directeur de la sécurité pour mener à bien cette mission d’une si haute portée ? « C’est parce qu’il souhaitait traiter ce dossier comme une question de sécurité plutôt que comme un problème diplomatique que mon choix s’est porté sur moi. J’ai pris conscience immédiatement, argumente Pierre Oba, de la confiance que le Président Denis Sassou N’Guesso me témoignait. C’était la première fois qu’on me confiait une telle mission. J’avais alors 34 ans. »

« Tel était d’ailleurs le cas pour ma première mission, menée dans la plus grande discrétion à Johannesburg. Avant cela, Jean-Yves Ollivier et moi-même nous étions retrouvés à Paris, dans le bureau de Jacques Foccart, afin de concevoir notre plan d’action. » L’ex-conseiller en matière de sécurité de Denis Sassou N’Guesso confie cela d’une voix monocorde. Quel est l’intérêt politique et diplomatique de ce livre, près de 27 ans après les faits ? « Je n’ai aucune intention politique », répond Pierre Oba, la main sur le cœur. « C’est simplement un devoir de mémoire envers les générations futures. »…

À quand également des publications similaires concernant l’histoire tumultueuse du Congo sous l’ère du parti unique ? Cette question demeure en suspens à Brazzaville.

A.Ndongo, journaliste économique et financier,