Le pape François achève une visite de trois jours dans le plus grand pays d’Afrique pendant laquelle il a délivré des messages très politiques et très francs.
Le pape François achève ce vendredi son séjour à Kinshasa. Il a rencontré des victimes des violences, célébré une gigantesque messe devant environ un million de personnes et rencontré des jeunes réunis dans le plus grand stade du pays. Cette visite a été particulièrement marquée par une grande mobilisation et des discours poignants du souverain pontife.
Il s’agit sans doute de l’un des plus puissants plaidoyers faits sur la crise sécuritaire et humanitaire qui sévit dans l’Est de la RDC. Devant les caméras venues de partout, le pape et le monde ont écouté les victimes venues des zones déchirées par les violences. En mondovision, le souverain pontife n’y est pas allé de main morte pour dénoncer « un colonialisme économique » et un « pillage systématique des minerais congolais ».
Il est allé plus loin en évoquant un génocide oublié, et en dénonçant des occupations des villages et des tentatives de partition de cet espace. Dans ses discours, le pape n’a pas non plus épargné l’élite politique locale qu’il a interpellée sur ses responsabilités. François a insisté également sur la lutte contre la corruption. La visite papale a également permis à l’archevêque de Kinshasa, le cardinal Fridolin Ambongo, de rappeler devant le pape, le président de la République et les opposants la nécessité d’organiser des élections crédibles à la fin de cette année.
Le séjour du pape a une fois de plus confirmé le poids politique et sociologique de l’Église catholique dans le pays. Les quatre jours de présence de l’évêque de Rome à Kinshasa a perturbé la vie de la capitale. Certaines écoles ont fermé pendant au moins deux jours. Sur le plan logistique, plus de peur que de mal. Certains avaient pronostiqué un chaos dans l’organisation, le million des fidèles qui se sont mobilisés ont été bien encadrés. Aucun incident majeur n’a été enregistré.
Sous la mitre, le soft power
S’il est trop tôt pour évaluer les effets de la visite du pape en RDC, une chose est certaine : le soft power du Saint-Siège a tourné à plein régime durant trois jours. D’abord, le pape avait souhaité faire de ce voyage un levier pour alerter les consciences sur les drames qui se déroulent à l’Est du pays. En organisant une rencontre avec les victimes des conflits, il a permis aux médias du monde entier de rapporter les horreurs des violences subies dans cette région méconnue.
Ensuite, le pape a manifesté habilement son soutien à l’Église en RDC dans sa lutte pour un État de droit. Devant le président Tshisekedi, dont l’élection avait été contestée par les évêques, il a glissé un appel à des élections « transparentes et crédibles ». Enfin, le pape a dénoncé vigoureusement la corruption qui sévit dans le pays en demandant aux jeunes rassemblés au Stade des Martyrs de reprendre son slogan lancé en français : « Pas de corruption ! »
Dans la foulée, l’Argentin a laissé la foule hurler sa soif de changement, quitte à se laisser déborder par des tribunes qui réclamaient le départ du président en exercice. Au final, à Kinshasa, François s’est voulu le porte-parole d’un peuple meurtri, comme le fut jadis le pape Jean-Paul II.
Les Sud-Soudanais ont des attentes
Après sa visite en RDC, le pape François doit s’envoler ce vendredi 3 février pour Juba, la capitale du Soudan du Sud, où il est attendu vers 15h, heure locale. Le pays a sombré dans la guerre civile en 2013, deux ans à peine après son indépendance. Un conflit causé par les rivalités entre le président Salva Kiir et le vice-président Riek Machar. Le pape sera rejoint dans cette visite de trois jours à Juba par les dirigeants des Églises protestantes : l’archevêque de Canterbury Justin Welby, ainsi que le modérateur de l’assemblée générale de l’Église d’Ecosse, Iain Greenshields. Plus de 60 % des habitants de ce pays sont chrétiens.
Le pays et surtout la capitale se sont préparés à enfin recevoir la visite du souverain pontife, après un report pour des raisons de santé, rapporte à Juba, Florence Miettaux. Affiches de bienvenue, rues nettoyées et goudronnées en un temps record, installation de robinets d’eau potable au Mausolée de John Garang… Ces derniers jours, la capitale sud-soudanaise s’est métamorphosée pour accueillir le pape et les deux autres chefs religieux. Dès hier, l’affluence commençait à être visible dans les rues de Juba, où un million de personnes sont attendues.
Ce n’est pas la première fois que les dirigeants sud-soudanais rencontrent le souverain pontife : en 2019, le président Salva Kiir, le vice-président Riek Machar ainsi que les quatre autres vice-présidents du pays lui avaient déjà rendu visite au Vatican. Le pape s’était agenouillé pour embrasser les pieds de ces leaders et les implorer de faire la paix. Un geste sans précédent qui n’avait pas eu les effets escomptés, le plus jeune pays au monde étant toujours très en retard dans la mise en œuvre de l’accord de paix de 2018.
Les Sud-Soudanais ont des attentes très fortes en ce qui concerne les messages que le pape François va délivrer lors des différentes rencontres prévues. Le chef de l’Église catholique doit se réunir aujourd’hui avec le président et les vice-présidents, les autorités et le corps diplomatique. Demain, samedi, il s’adressera aux membres de l’Église à la cathédrale Sainte-Thérèse, puis rencontrera des personnes déplacées par la guerre. Sont également prévues une prière œcuménique ainsi qu’une messe que le pape célébrera au Mausolée de John Garang, dimanche matin avant son départ.
Depuis plusieurs décennies, les différentes Églises du pays travaillent ensemble pour y ramener la paix, rappelle John Ashworth ancien missionnaire au Soudan et au Soudan du Sud
Rencontre enfin avec la société civile. Harcèlement des journalistes, menaces à l’encontre des humanitaires, droits des personnes handicapées… Edmond Yakani, le directeur de l’organisation de la société civile CEPO, a bien préparé sa rencontre avec le pape et les deux autres religieux : « Je souhaite leur demander de dire à nos dirigeants de prendre leurs responsabilités face à la violence qui continue au niveau local, dans les États régionaux. Je voudrais qu’ils disent aux Sud-Soudanais et à nos leaders d’arrêter d’alimenter les violences communautaires pour leurs calculs politiques égoïstes, et de prendre leurs responsabilités pour s’assurer que la guerre ne revienne pas dans le pays. »
Directeur du Jonglei State Civil Society Network, Bol Deng Bol ne participera pas à la rencontre. Il se réjouit tout de même de la visite : « La venue de ces chefs religieux au Soudan du Sud montre que le monde entier est conscient de ce qui nous arrive. C’est donc une bénédiction pour les gens des camps de déplacés ainsi que pour ceux qui sont réfugiés dans d’autres pays, et qui ont de grandes difficultés. Cette visite est importante pour eux et va rendre leurs problèmes visibles. »
Le Soudan du Sud compte quatre millions et demi de déplacés internes et de réfugiés. L’idée d’accompagner le pape dans un camp de déplacés près de Juba a été abandonnée au profit d’une rencontre avec des déplacés au Freedom Hall, samedi.