Le second tour de l’élection présidentielle française 2022 opposera Emmanuel Macron, président sortant et candidat pour La République en Marche !, à Marine Le Pen, candidate d’extrême droite du Rassemblement national. Un match retour bien différent de celui de 2017. Durant ces cinq années, les deux prétendants ont chacun fait évoluer leur image.
Emmanuel Macron affrontera Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle. L’annonce n’étonnera pas ceux qui restaient, des semaines durant, les yeux rivés sur les sondages, mais elle n’a pas du tout les mêmes implications qu’il y a cinq ans. L’un est devenu président de la République, l’autre a dû trouver une nouvelle stratégie pour revenir en force. En cinq ans, les deux adversaires ont louvoyé politiquement pour construire leur crédibilité, tout en évitant le plus possible de se ressembler. Aujourd’hui, l’écart des intentions de vote au second tour entre les deux candidats n’a jamais été aussi étroit et tout reste possible.
Partie de loin
Il y a cinq ans, le Rassemblement national (RN), à l’époque Front national, espérait devenir la première force politique du pays. Marine Le Pen l’avait appelé de ses vœux à l’annonce de la victoire d’Emmanuel Macron, le 7 mai 2017 : « Les Français ont désigné l’alliance patriote et républicaine comme la première force d’opposition au projet du nouveau président. »
Pourtant, dans ses propres rangs, le doute existait. Certains la disaient finie, après sa terrible performance durant le débat d’entre-deux-tours. Sous l’œil mi-médusé, mi-amusé d’Emmanuel Macron, Marine Le Pen s’était écroulée en direct, perdant ses moyens, cherchant dans ses dossiers. Beaucoup considéraient alors que la candidate RN enterrait définitivement ses chances de l’emporter, et les résultats au second tour leur ont donné raison : deux tiers des votants ont choisi Emmanuel Macron.
Aux élections législatives de juin 2017, le Rassemblement national obtient six députés. Difficile de faire valoir le statut de premier parti d’opposition dans ces conditions : Les Républicains en ont 93, la France insoumise (LFI) 17. Là où Marine Le Pen est la plus emblématique députée du RN, LFI peut mettre en avant Jean-Luc Mélenchon, mais aussi Adrien Quatennens, Alexis Corbière, ou encore François Ruffin, très audibles dans la contestation du pouvoir nouvellement en place. De son côté, le rouleau compresseur LaREM, avec plus de 300 députés affiliés, donnait à Emmanuel Macron une pleine liberté d’action.
Changer d’image
L’année suivante, le parti d’extrême droite amorce sa mue et sa présidente une renaissance. Changement de nom, changement de visuels, Marine Le Pen tente, à l’image de son parti, d’adoucir sa flamme nationaliste. Une stratégie parfaitement adaptée pour elle, un peu moins pour sa formation. Après des élections européennes plutôt réussies, où le Rassemblement national gagne des voix (deux millions de plus qu’aux législatives de 2017), mais n’augmente pas en proportion (23,31%, contre 23,86% en 2014), le parti stagne aux élections municipales de 2020.
Marine Le Pen, d’un point-de-vue personnel, évite les dérapages médiatiques et se met en scène au quotidien, là où Emmanuel Macron, naturellement plus exposé, peine à se départir de son image de « président des riches ». Si les résultats aux élections ne sont pas aussi bons qu’espéré, la présidente du parti d’extrême droite peut compter sur les aléas de l’actualité. L’ex-président de la République François Hollande avait dû faire face à la vague d’attentats de 2015, Emmanuel Macron aura le mouvement social des « gilets jaunes » en novembre 2018 et la pandémie de Covid-19. Deux crises compliquées à gérer pour le président de la République, qui donneront à Marine Le Pen toute latitude pour critiquer son principal adversaire.
Chemins croisés
Emmanuel Macron est arrivé au pouvoir au détriment de deux forces politiques majeures : le Parti socialiste et Les Républicains. Se proclamant ni de gauche, ni de droite, le candidat essaye un temps de gouverner en équilibriste, avant d’assumer une politique classée à droite. Baisse des APL pour les étudiants, abandon de l’impôt sur la fortune, réforme de la SNCF et du code du travail… ses mesures ne se destinent pas à un électorat de gauche. Il échouera néanmoins à faire passer sa réforme des retraites, ralentie par les protestations populaires et la crise sanitaire.
S’emparant des thèmes de l’immigration et de la sécurité, chers à l’extrême droite, il dénonce l’islamisation de la société après l’assassinat du professeur Samuel Paty, et interdit dans la foulée de nombreuses associations taxées d’islamisme. Son ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin défend une ligne dure sur l’immigration, qui se retranscrit sur le terrain.
Emmanuel Macron s’appuie encore plus sur son aile droite en donnant, en octobre 2019, un entretien à Valeurs Actuelles, titre d’extrême droite, une première pour un président de la République. Pour tenter de donner des gages à la gauche, son gouvernement légifère sur la PMA (procréation médicalement assistée) pour toutes, crée le passe culture pour les 15 à 18 ans et offre aux écologistes la fin du projet d’extension de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, en Bretagne. Une simple posture pour les militants écologistes : dans le même temps, Emmanuel Macron rassure aussi les chasseurs, un réservoir de plusieurs millions de voix, en abaissant le prix du permis de chasse et en promettant l’ouverture de la chasse à certains oiseaux protégés. Sa relance de l’industrie nucléaire et une Convention citoyenne pour le climat sans lendemain finiront de consommer le crédit du président aux yeux des écologistes.
Se basant sur cette volonté centriste du chef d’État, Marine Le Pen et son parti taxent régulièrement Emmanuel Macron « d’immobilisme ». Comprenez : à vouloir aller et à gauche, et à droite, on ne va nulle part. Pendant qu’Emmanuel Macron tanguait à droite, Marine Le Pen lissait son image radicale. Avec l’arrivée du trublion Éric Zemmour, qui monopolise les thèmes de l’immigration et de la sécurité, le Rassemblement national mise tout sur le pouvoir d’achat et la proximité, la ruralité. Symbole de cette stratégie, la vingtaine de bus Rassemblement national, qui sillonnent le territoire métropolitain depuis le 5 février, quand Emmanuel Macron prend le parti de réduire la voilure sur la présidentielle, pour se focaliser sur la guerre en Ukraine.
Un duel plus incertain que prévu
Bon nombre d’analystes pensaient qu’un second tour face à Marine Le Pen arrangerait le président sortant, nul ne s’y risque aujourd’hui. L’image de la figure d’extrême droite a bénéficié contre toute attente de l’entrée fracassante d’Éric Zemmour dans la campagne. Avec ses positions radicales, le polémiste a élargi la fenêtre d’Overton, qui définit ce qui est acceptable ou pas de débattre dans l’espace politique. Plus controversé, plus polémique, Eric Zemmour offre à Marine Le Pen un beau cadeau : une personnalité plus radicale qu’elle-même. Une étude Kantar réalisée pour Le Monde et FranceInfo montrait qu’aux yeux des Français, l’image de la candidate s’était adoucie.
Autre preuve de la réussite de la mue commencée dès 2017, pour la première fois, le 30 mars 2022, la courbe des intentions de votes pour Marine Le Pen entrait dans la marge d’erreur de celle d’Emmanuel Macron dans les sondages sur un potentiel deuxième tour. Si la candidate RN emportait la victoire le 24 avril prochain, la France serait face à une situation doublement inédite : une femme et une figure d’extrême droite au pouvoir pour la première fois.