Dernier déplacement en Russie pour la chancelière allemande qui quittera le pouvoir à l’automne. Angela Merkel est venue vendredi dire adieu à Vladimir Poutine. L’occasion, pour elle, de plaider pour la poursuite du dialogue avec la Russie et réclamer la libération de l’opposant Alexeï Navalny.
Lors de sa dernière conférence de presse avec Vladimir Poutine, la chancelière n’a pas caché les tensions qui existent entre les deux pays, entre l’annexion de la Crimée, l’affaire Navalny, le sabotage du système informatique du Bundestag, le Parlement fédéral allemand, par des hackers russes. Mais pour Angela Merkel, le dialogue reste de mise malgré les « profonds différends » qui existent entre les deux pays.
« Je suis profondément convaincue qu’il faut maintenir ouverts les canaux de discussion et qu’il faut continuer à échanger même quand les systèmes politiques divergent, a-t-elle déclaré. La situation actuelle dans le monde le montre. C’est aussi ce que montre l’histoire des relations entre l’Allemagne et la Russie qui est marquée par des bas tragiques mais aussi par de bons aspects. »
« Dans l’ensemble, je dois le dire, durant mes années à la chancellerie, les systèmes politiques de la Russie et l’Allemagne se sont assurément encore plus éloignés, a poursuivi Angela Merkel. Cela signifie que nous avons beaucoup de questions critiques à aborder mais je suis très heureuse que le canal de discussion soit toujours resté ouvert. malgré de grosses différences entre nous. Nous avons même aussi parfois fait un peu bouger les choses, même s’il reste beaucoup à faire. En tout cas, l’absence de dialogue n’est pas une option à mes yeux et je continuerai de le dire. »
Libération de Navalny
Dès le début de leur conférence de presse commune, la chancelière a souligné « la situation tragique » d’Alexeï Navalny, incarcéré pour fraude dans une affaire largement considérée comme relevant de la répression politique. Des propos qui interviennent aussi un an jour pour jour après l’empoisonnement, attribué aux autorités russes, de l’opposant russe à qui l’Allemagne de Mme Merkel sauva la vie en le soignant.
« Une fois de plus, j’ai réclamé au président russe la libération d’Alexeï Navalny et j’ai clairement dit qu’on continuerait », a déclaré la chancelière. Vladimir Poutine lui a opposé une fin de non-recevoir, assurant que son adversaire n’était pas détenu « pour ses activités politiques », mais pour « une infraction criminelle ».
Vladimir Poutine n’a pas évoqué l’empoisonnement de l’opposant, alors que l’Allemagne qui le soignait a établi qu’il avait été intoxiqué par un produit militaire soviétique, le Novitchok.
Russes et Européens, Allemands en tête, ont croisé le fer sur le dossier concernant l’opposant et multiplié les sanctions et contre-sanctions. Mais la chancelière a aussi martelé que le dialogue devait continuer. « Nous nous parlons et cela doit continuer ainsi », a-t-elle relevé.
Nouvelles sanctions de Washington et Londres
Londres et Washington ont annoncé ce vendredi soir de nouvelles sanctions contre des hauts responsables des services de sécurité russes pour leur rôle présumé dans l’empoisonnement de l’opposant. Le ministère britannique des Affaires étrangères a ciblé sept personnes, identifiées comme étant membres des services de sécurité russes (FSB). Ces individus sont frappés par des interdictions de voyager et par le gel de leurs avoirs. Des mesures « prises aux côtés de nos alliés américains », a précisé le ministère dans un communiqué.
Le Trésor américain a, lui, indiqué dans un communiqué distinct que neuf hauts responsables et deux laboratoires scientifiques étaient visés au total par cette troisième vague de sanctions américaines. Le département d’État à Washington a désigné « deux laboratoires scientifiques du ministère russe de la Défense qui se sont engagés dans des activités visant à développer les capacités d’armes chimiques de la Russie », a expliqué le Trésor.
Poutine veut donner une leçon sur l’Afghanistan
La dernière visite officielle d’Angela Merkel à Moscou aura été marquée par la situation en Afghanistan. Lors de la conférence de presse qui a clôturé la rencontre, Vladimir Poutine a mis en avant le pragmatisme de la Russie pour mieux critiquer les Occidentaux, souligne notre correspondant à Moscou, Jean-Didier Revoin.
« Il faut cesser d’ignorer complètement les traditions en vertu desquelles vivent les autres peuples, a déclaré le président russe. Nous connaissons l’Afghanistan et nous le connaissons bien. Nous sommes convaincus de la façon dont ce pays doit être organisé et combien il est contreproductif d’essayer de lui imposer des formes insolites de gouvernement et de vie publique. »
Une critique qu’Angela Merkel a relevée. Si la chancelière a reconnu que les forces de la coalition n’avaient pas réussi à permettre au peuple afghan de s’émanciper, elle a précisé que les efforts déployés en Afghanistan avaient permis à des milliers de femmes de sortir de la précarité.
Ukraine : « maintenir en vie » les négociations de paix
Outre l’Afghanistan et le cas d’Alexeï Navalny, les deux dirigeants ont aussi évoqué l’épineux dossier de l’Ukraine. La chancelière a estimé qu’il fallait « maintenir en vie » les négociations de paix sur l’est ukrainien, malgré leur lenteur sur fond de profondes tensions russo-ukrainiennes. « Je conseille de continuer d’essayer de maintenir en vie ce format et qu’il ne finisse pas dans l’impasse », a-t-elle dit, même « si les avancées ne sont pas aussi rapides que nous l’espérions ».
« Il n’y a aucun autre instrument pour aboutir à la paix », a insisté le président russe qui accuse l’Ukraine de saboter les pourparlers.
Kiev accuse en retour Moscou de dévoyer les négociations par son soutien militaire inavoué mais évident aux séparatistes pro-russes. Le conflit a débuté en 2014 après l’annexion de la Crimée ukrainienne par Moscou.
La chancelière a à ce sujet signifié à Poutine qu’elle continuerait d’« oeuvrer à (la préservation de) l’intégrité territoriale de l’Ukraine jusqu’au dernier jour de son mandat ».
Mais derrière les sujets qui fâchent, Angela Merkel a aussi des points de convergence avec la Russie. Les deux vétérans ont ainsi imposé aux États-Unis, à des Européens méfiants et à l’Ukraine un gazoduc sous-marin, Nord-Stream 2 qui va accroître l’alimentation en gaz russe de l’Allemagne et de l’Europe pour les décennies à venir. Et ils ont de nouveau insisté vendredi sur l’utilité du tube qui doit s’achever dans les jours ou semaines à venir, marginalisant le rôle ukrainien dans le transit gazier et retirant à Kiev une source de revenus.
(Avec AFP)