La levée par le président Alassane Ouattara de tous les obstacles au retour de son prédécesseur Laurent Gbagbo, annoncé pour le 17 juin 2021, n’est pas dénuée de calculs politiques risqués pour le pouvoir ivoirien.
Entre gages donnés à ses soutiens extérieurs et leadership sur l’héritage de Félix Houphouët-Boigny, Alassane Ouattara cherche à entrer dans l’histoire de son pays comme l’homme de la réconciliation nationale. L’empressement avec lequel le gouvernement ivoirien a « pris acte » de la date du retour de l’ancien président Laurent Gbagbo en dit long sur la volonté de son successeur de parier sur cet événement pour parachever sa nouvelle stratégie.
Mais l’exercice sera difficile. En effet rien n’indique que Laurent Gbagbo ne sera pas accueilli à Abidjan par une foule nombreuse et en liesse. Son acquittement après une longue procédure devant la CPI perçu en Afrique à charge lui donne l’aura des vainqueurs. Sur place en Côte d’ivoire, un sondage tenu secret de l’institut Médiamétrie a montré que sa popularité était deux fois supérieure à celle d’Alassane Ouattara. Une guerre des mémoires qui revisitera les années de plomb va nécessairement avoir lieu dont rien ne dit que l’actuel Président en sortira grandi.
Le magazine « jeune Afrique », un media dévoué à la cause du clan Ouattara, n’hésite pas à titrer cette semaine: « Le retour de Gbagbo: le coup de pokerdu FPI », le mouvement de l’ancien Président. Disons de façon plus équilibrée que dans la partie de poker qui se joue à Abidjan, Alassane Ouattara n’a pas nn plus tous les atouts dans son jeu.
Gestes d’ouverture
Après avoir blindé juridiquement et politiquement son nouveau mandat de cinq ans, Ouattara considère pourtant qu’il n’a plus rien à craindre du retour à Abidjan de Laurent Gbagbo. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il a fini par faire ce qu’il a toujours refusé jusqu’ici. En effet, le gouvernement ivoirien a délivré en décembre 2020 avec célérité deux passeports (un diplomatique et un ordinaire) à l’ancien chef de l’Etat ivoirien qui les a reçus en main propres d’un émissaire spécialement dépêché à Bruxelles où il réside depuis son acquittement par la Cour pénale internationale.
A l’issue d’une délibération en Conseil des ministres, le gouvernement ivoirien a ensuite assuré que Gbagbo bénéficiera à son retour à Abidjan de tous les avantages dus à un ancien président de la république : rémunération mensuelle, logement de fonction, sécurité avec un aide de camp, personnel de maison, véhicule avec chauffeur. Le président Ouattara s’est également engagé à ne pas mettre à exécution la condamnation de Gbagbo à 20 ans de prison par la justice ivoirienne pour sa participation présumée au casse de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) en janvier 2011. Cela en effet aurait rendu difficile la mise en scène d’une « réconciliation » qui souhaite le pouvoir ivoirien
Une place dans l’Histoire
Dans le cadre de cette nouvelle stratégie de réconciliation nationale, Ouattara avait déjà permis le retour en avril dernier d’une dizaine de proches de Gbagbo, dont sa sœur Jeannette Koudou et son porte-parole Justin Koné Katinan, vivant depuis près de dix ans en exil au Ghana. Cette soudaine volonté d’apaisement d’Alassane Ouattara, critiqué jusqu’ici pour ses faibles résultats en matière de réconciliation nationale pendant ses deux premiers mandats, n’est pas dénuée de calculs politiques. En jouant à fond la carte de la réconciliation nationale, le président ivoirien a forcé la reconnaissance de ses adversaires, y compris les plus réductibles du Front populaire ivoirien (FPI) qui ont fini par applaudir ses gestes d’apaisement. Ouattara comble en même temps, à travers cette stratégie de réconciliation nationale tous azimuts, les attentes de ses soutiens extérieurs, dont son homologue français Emmanuel Macron qui lui avait réclamé publiquement « d’aller jusqu’au bout de la réconciliation nationale » pour faire oublier son élection calamiteuse du 31 octobre 2020.
Mais, en posant ces gestes inédits en faveur de la réconciliation nationale, Ouattara se pose surtout en digne héritier de Félix Houphouët-Boigny, premier président ivoirien et faiseur de paix. Il espère marquer un point dans la querelle d’héritage des valeurs de Félix Houphouët-Boigny contre le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) d’Henri Konan Bédié.
Ouattara espère, en définitive, entrer par la réconciliation nationale et la réussite économique dans l’histoire moderne de la Côte d’Ivoire lorsqu’il aura quitté le pouvoir à 83 ans à la fin de son mandat de cinq ans. Ce beau story telling n’est pas joué d’avance!