Le 9 mai est le jour de la victoire en Russie, la Fête nationale qui célèbre la capitulation de l’Allemagne nazie face aux troupes alliées en 1945 et qui prend bien sûr une résonance particulière cette année. Comment Vladimir Poutine va-t-il utiliser cette journée de commémoration pour orienter le récit national russe et comment le 9-Mai s’inscrit-il dans sa stratégie politique depuis le début de son mandat ? Entretien avec l’historien Alain Blum.
De quoi parle-t-on lorsqu’on évoque le 9-Mai en Russie ?
Alain Blum : Dans la période soviétique, il y avait trois grandes dates : le 1er-Mai la fête du Travail, le 7-Novembre qui était la fête de la Révolution d’octobre et le 9-Mai. La fête de la Révolution d’octobre n’a plus vraiment de sens aujourd’hui. Elle est même plutôt repoussée. Le 9-Mai du coup est devenu la seule date importante de célébration, de commémoration. Dans la tête des Russes, je pense quand même que cela a un sens qui est plus que notre 14-Juillet, c’est un sens qui est plus proche disons, que notre 14-Juillet, simplement le sens politique qu’ils lui donnent aujourd’hui est très partagé.
Justement, quelle est la dimension que Vladimir Poutine veut donner à cet évènement depuis qu’il est arrivé au pouvoir ?
Pourquoi c’est si important ? C’est parce que, effectivement, la Seconde Guerre mondiale a conduit à 26 millions de morts en URSS dans son ensemble. Mais cela veut dire qu’effectivement, dans chaque famille, il y a très souvent un parent qui a été victime de la Seconde Guerre mondiale. Donc, il y a cette appréhension. Et Poutine en a fait vraiment une date de combat contre les pays de l’ex-URSS qui se sont rapprochés de l’Europe, en prenant cette date comme la victoire de la Russie presque contre le nazisme. Maintenant, c’est très d’actualité, il l’a utilisée depuis assez longtemps, ce qui n’était pas du tout présent dans la tête du citoyen moyen de la Russie. C’était une date importante, mais ce n’était pas une date de combat.PUBLICITÉ
Est-ce que ces commémorations du 9 mai 1945 en Russie ont toujours eu un caractère militaire comme étendard de la fierté nationale en quelque sorte ?
Dès le début de ces commémorations montées par Léonid Brejnev [principal dirigeant de l’URSS de 1964 à 1982, commémorations montées à l’occasion des 20 ans de la capitulation nazie en 1965], il y a effectivement de grandes parades sur la place Rouge. La parade militaire a toujours été au centre, sauf justement dans la période 1991-2000 lorsque Boris Eltsine est au pouvoir. Il y a un côté mise en scène de la force. Alors, effectivement, quand Brejnev remet ça au goût du jour, on est en pleine guerre froide. C’est destiné à la fois pour la population soviétique, il y a une grande parade avec des manifestations populaires à côté, et c’est aussi très bien destiné à l’international pour montrer la puissance militaire de l’Union soviétique. Et très clairement, la reprise de cette commémoration par Vladimir Poutine, c’est aussi pour montrer la puissance militaire qui a été de plus en plus mise en scène dans ces défilés avec des armes de plus en plus modernes. Ça sera vraiment mettre une place à la modernité de l’armée face au semi-échec en l’Ukraine d’ailleurs.
Aujourd’hui, l’Ukraine est indépendante de la Russie. Mais est-ce que cette date symbolique du 9-Mai a toujours un écho chez les Ukrainiens ?
Ce qui est intéressant, c’est que, avant la guerre en Ukraine, il y avait une tension permanente en Ukraine entre les pro-Russes qui voulaient commémorer le 9-Mai et les pro-Européens qui voulaient commémorer le 8-Mai. Et il y a eu une dimension assez symbolique : effectivement, la commémoration du 9-Mai était le signe qu’on restait pro-Russes. Je me souviens avoir assisté il y a quelques années à Kiev justement à cette double commémoration. Et très clairement, le 9-Mai c’était très russe, très soviétique encore, avec les anciens qui portaient toutes les médailles qu’on peut voir et qui étaient là, avec des jeunes femmes, des jeunes hommes qui venaient exprimer leur respect par rapport à ces combattants. Et le 8-Mai était beaucoup plus des manifestations de revendications d’autonomie. C’était le jour de l’Europe. Il y avait vraiment une crispation autour de cela, l’Ukraine était encore assez partagée entre ce pôle russe et ce pôle européen. Pour l’Ukraine, il y a un caractère très fort à qui on se rattache.
Tout ce que Vladimir Poutine fait en ce moment, c’est avant tout pour convaincre l’électorat russe que l’armée russe gagne, que la Russie est forte, que lui-même est fort, que l’Occident est faible, et que la victoire est inévitable. C’est son principal sujet, car si l’électorat cesse de croire en l’armée russe victorieuse, alors c’est la fin de sa légitimité.
Abbas Gallyamov (politologue): «Si l’électorat cesse de croire en l’armée russe victorieuse, alors c’est la fin de sa légitimité»
Appel à la mobilisation générale ?
Pour le politologue Abbas Gallyamov, ex-rédacteur de discours de Vladimir Poutine, le discours du président russe ce 9 mai s’adressera d’abord à l’opinion publique russe. D’après lui, il s’agira pour le chef du Kremlin à la fois de démontrer sa force personnelle, celle de l’État et de l’armée. L’annonce d’une mobilisation générale serait en revanche bien trop risquée politiquement.
« La mobilisation de masse réduira instantanément le soutien à l’opération spéciale, analyse ainsi Abbas Gallyamov. Car la caractéristique de l’électeur patriote russe réside précisément dans le fait qu’il est prêt à approuver la politique du parti et du gouvernement, mais depuis son canapé, qu’il n’est personnellement pas prêt à faire aucun sacrifice. C’est sa différence fondamentale avec l’opposition. L’opposition est prête à combattre la police dans la rue pour ses convictions, prête à prendre le risque d’aller en prison. L’électeur fidèle au pouvoir est lui fondamentalement différent. C’est avant tout un conformiste. Le confort au quotidien est la chose la plus importante pour lui. Et il ne veut absolument pas se battre en Ukraine pour ses convictions. Par conséquent, la mobilisation de masse conduirait à une forte vague de mécontentement des personnes qui sont précisément lesquelles sur qui Poutine s’appuie, sur celles qu’on appelle les « populations rurales ». »