La prise du pouvoir par Marien NGOUABI fut un travail de longue haleine initié depuis fin 1965 dont un des acteurs majeurs sera un politicien invétéré à l’esprit particulièrement rotor, Pierre NZE*. La question de renversement géopolitique avait pesé lourd.
ACTE I : LA CHUTE du Premier ministre Pascal LISSOUBA en 1966
Fin 1965, une fois les modérés écartés suite aux purges, procès, exils et assassinats, les instances actives du pouvoir, de plus en plus rougies au feu marxiste et n’ayant plus d’opposants, c’est la bande à LISSOUBA qui se retrouva vite en position de modéré et donc de cible des doctrinaires.
Le Premier ministre Pascal LISSOUBA était en effet le chef de fil d’un groupe de pensée dont la ligne idéologique était pondérée quant à l’application du socialisme scientifique dans le pays. Bien que tous soient d’accord sur la création d’entreprises d’Etat, LISSOUBA et ses compagnons préféraient le maintient des entreprises privées mais renforcées progressivement par une prise d’intérêt de l’Etat et des copies des meilleures exemples, plutôt que la nationalisation immédiate, pure et dure; ils appuyaient la mise en place d’un programme national d’enseignement au lieu de l’étatisation et de la confiscation des écoles catholiques; le maintien des relations diplomatiques avec les pays occidentaux tout en coopérant avec l’est, dans une politique de non alignement etc.
Tout le contraire que prônait le courant adverse, les doctrinaires, dirigé par le 1er secrétaire du parti, Ambroise NOUMAZALAYE, qui allait finir par obtenir sous la pression, tout ce que ne voulait pas le Premier ministre en usant de la primauté du parti sur l’Etat. Il n’y a que sur la la sortie du Franc CFA qu’il n’eut pas gain de cause.
MASSAMBA DEBAT n’avait jamais adhéré au socialisme scientifique. Arbitrant entre les deux courants antagonistes, il essayait d’en atténuer les effets. Quand il pouvait. Au fil du temps, le président se sentait idéologiquement plus proche du clan LISSOUBA composé de TCHYSTERE TCHICAYA, Van den REYSEN, MOUNTAULT, LOPES, SATHOUD, DA COSTA… des cadres à la formation plus poussée que leurs adversaires, mais qui trainaient déjà la critique d’être pour la plupart originaires du sud-ouest.
Le Président refusait d’écarter le premier ministre dont les pressions avaient commencé mi 1965, déjouant les intrigues en récompensant simplement le clan NOUMAZALAYE (composé de MBERI, NDALLA,, BOUKAMBOU, ANGOR, MAKOSSO…) par un nombre plus important de postes politiques si bien qu’à la longue, il se mit lui-même en minorité.
Las du pouvoir de NOUMAZALAYE au parti, il publia par décret en janvier 1966 un « Manifeste du MNR », document « supra constitutionnel » dit-il, dans lequel il fixait le fonctionnement du parti par rapport à l’Etat. En un mot, bien qu’inspirant la politique nationale et conseillant l’exécutif, le parti ne pouvait en aucun cas supplanter l’exécutif de l’Etat. Le bureau politique assistait seulement le secrétaire général du parti (M-Débat lui-même), mais ne décidait pas à sa place.
La réponse des ultras fut foudroyante.
NOUMAZALAYE convoqua une cession extraordinaire du comité centrale pour le 28 février 1966 aux fins d’examiner le document. Les 55 membres tirèrent à boulets rouges sur « le frère secrétaire générale » (les membres du MNR s’appelaient « frères et sœurs ») fustigeant le fait qu’il ait pris une décision personnelle sur le parti, sans passer par le congrès ni le comité central. On accusa le président de « dérive du pouvoir personnel, en contradiction avec la collégialité prônée par le congrès fondateur du parti ». « Massamba-Débat veut faire du youlisme sans Youlou ! » lança Léon ANGOR, un ultra parmi les ultras, la violence en plus.
A cette occasion, furent invités les membres d’autres structures de l’Etat, notamment l’armée, qui fut représentée par le Capitaine Marien NGOUABI et le lieutenant Luc KIMBOUALA-NKAYA. Les deux furent désignés par Pierre NZE, un professeur de mathématique au collège récemment rentré de France et qui faisait office de conseiller de NOUMAZALAYE. Ensemble ils étaient préoccupés par la promotion des cadres originaires du Nord et ils nouèrent à partir de cette époque plusieurs contacts pour déceller des talents. Marien fut une de leurs pioches.
A la cession, le commandant des para-commandos fustigea le rôle trouble de la défense civile, la politisation de l’armée qui venait d’être changée en Armée Populaire Nationale, un organe du parti donc, et les promotions politiques qui en découlaient. Le premier ministre en prit également pour son grade, attaqué de toute part pour sa politique modérée, il fut accusé de « pion de la France », de « déviationnisme bourgeois » etc. La session dura le temps exceptionnellement long de 4 semaines – un vrai procès de l’exécutif – au cours desquelles tout le monde s’attendait chaque jour à la démission ou limogeage de LISSOUBA pour être remplacé par NOUMAZALAYE, mais rien n’y fit.
Le dernier jour de la cession, des tracts circulèrent dans la salle et dans la ville capitale reprenant les critiques faites par le comité centrale et accusant en plus MASSAMBA DEBAT de vouloir faire assassiner le premier ministre Pascal LISSOUBA et le président de l’Assemblée Léon ANGOR pour sauver son fauteuil et prendre les pleins pouvoirs. Une enquête fut diligentée pour en rechercher les auteurs, et des stencils de ces tracts furent retrouvés chez le secrétaire général de l’assemblée (Laurent MANN), et auprès du secrétaire particulier de LISSOUBA ainsi que des lots d’exemplaires chez certains députés.
LISSOUBA, mouillé, lui qui jusque là avait pu résister à tout, dû rendre sa démission le 15 avril 1966. Le président la transmit au bureau politique (conformément à la révision du Manifeste du MNR qui venait d’avoir lieu) et celui-ci l’accepta et proposa la nomination d’Ambroise NOUMAZALAYE pour le remplacer. Ce qui fut fait, concentrant les pouvoirs du parti et de l’Etat aux mains du même homme.
Pierre NZE venait de réussir son premier coup. Car il l’avouera plus tard, avec MANN, avoir tout manigancé, avec l’appui d’Angor et sous la bénédiction de Noumaz, mais à aucun moment Lissouba n’en fut au courant et pour cause : il en était la cible réelle.
NZE et ses amis n’attendront pas longtemps pour engager la deuxième phase.
ACTE II: L’épreuve de force.
Pour le noyau voulant prendre le pouvoir autour de NOUMAZALAYE, Marien NGOUABI avait tenu ses promesses et ne s’était pas dégonflé. KIMBOUALA-NKAYA, un sanguin qui démarrait au quart de tour, masquait le projet régionaliste et paraissait manipulable.
Le 22 juin, quelques semaines seulement après la prise de pouvoir du gouvernement Noumaz, de nouveaux tracts circulèrent dans Brazzaville. « M-DEBAT tribaliste ; l’affectation de NGOUABI à Pointe-Noire et son remplacement supposé à la tête des para-commandos par le lieutenant KIKADIDI originaire de Boko est du tribalisme ; le commandant MOUNTSAKA, commandant en chef des armées est aussi de Boko : tribalisme. etc»
NGOUABI annonça le 25 juin qu’il refusait de prendre son poste à Pointe Noire, se désignant de fait comme auteur, complice ou instigateur ou sympathisant des tracts. En réalité il payait par cette affectation son insolence lors de la session du comité central. KIMBOUALA NKAYA avait été arrêté juste à la fin de la session et libéré grâce à la mobilisation de dizaines de bembés qui avaient fait le siège à la présidence. Le lendemain, avant son départ pour Madagascar, Massamba-Débat décida de rétrograder NGOUABI au rang de soldat de 2e classe. Le lendemain une partie des para-commandos se mutinèrent dans leur camp de base, rejoint par des militaires d’autres corps, essentiellement du nord, qui avaient pris le soin d’embarquer avec eux et d’emprisonner Michel Bindi directeur de la sûreté, et des officiers réputés proches du président.
Le commandant en chef de l’armée, le commandant David MOUNTSAKA vint au camp pour calmer la situation, il fut pris et séquestré. Le soir même de son arrestation le premier ministre le releva de ses fonctions et nomma à la place, provisoirement, le capitaine Damase EBADEP. Il faut dire que MOUNTSAKA avait perdu de son autorité à cause d’une affaire de fuites des épreuves du BEPC survenue quelques jours auparavant. Il avait en effet été accusé d’avoir fourni les épreuves à sa maitresse qui passait cet examen, et la fuite s’était propagée. Le ministre HOMBESSA fut également impliqué. MOUNTSAKA en avait perdu le respect de la troupe, et sa séquestration le confirmait.
Le lendemain, des manifestants essentiellement kouyou/mbochi saccagèrent le siège du parti et assiégèrent le bureau du premier ministre NOUMAZ. Aucune force régulière ne broncha, presque tous en froid avec le pouvoir à cause des privilèges accordés aux milices, des arrestations notamment du commandant Fodet (commandant de la place militaire de Brazzaville, accusé de négligence ayant conduit à la fuite du prisonnier Youlou), du commandant Sita et la mort du capitaine Bikoumou en prison, sous la torture des milices accusés de sympathie ou de tentatives de coup d’Etat youliste. La désorganisation d’une armée jusque là négligée et peu politisée fut rapide et le pouvoir dans leurs mains dès le 29.
Face à l’apathie militaire, les instructeurs cubains des milices réagirent. Ils protégèrent le palais présidentiel et la radio, avant d’encercler le camp des mutins avec le soutien de la défense civile. Les positions en restèrent là, et la négociation put s’ouvrir le 30 juin avec le premier ministre. Les mutins exigèrent l’incorporation des miliciens dans l’armée régulière, le départ des cubains, la nomination d’un des leurs comme chef d’Etat major (afin de ne pas subir de représailles) et la réhabilitation de Marien NGOUABI à son grade et à son poste. Ils n’obtinrent que les deux derniers points, en échange de la libération des officiers retenus. Le lieutenant KIMBOUALA NKAYA fut nommé chef d’Etat major.
MASSAMBA DEBAT rentra le 3 juillet de Tananarive. Il reçut à l’aéroport un accueil triomphal de la part de tout ce que le Congo comptait comme officiels. Ministres à quatre épingles, miliciens en uniforme, membres du parti médaillés, militaires en tenus d’apparat… Tous exaltés. La foule fut cortège avec lui jusqu’à la place de la gare où il tint un meeting d’apaisement : « ce ne sont pas les mbochis ou les kouyous qui se sont révoltés mais des frères qui n’avaient pas compris notre révolution parce que l’armée a été laissé de côté dans la conscientisation.»
Le soir même le capitaine Ebadep lança à la radio d’un ton dithyrambique que « l’armée est désormais en total fusion avec le socialisme scientifique ».
Le lendemain matin c’est le nouveau chef d’état major, le bouillant KIMBOUALA NKAYA qui claironnait que « l’armée, rangée dernière le président de la république, secrétaire général du MNR le frère Alphonse MASSAMBA DEBAT est fin prête à asséner un coup terrible à la contre révolution » ! Trois jours plus tard, ce sont tous les officiers qui signèrent un message de fidélité au chef de l’Etat.
Ainsi pris fin la première tentative de coup d’Etat de Ngouabi.
MASSAMBA DEBAT qui n’était pas aussi naïf, fit enquêter et découvrit les politiciens qui avaient préparé cette mutinerie, les actions de groupes tribales sur la primature et le siège du parti ainsi que les tracts. Une vingtaine de civils, tous originaires du nord furent arrêtés accroissant un sentiment d’oppression chez les nordistes. Parmi eux Pierre NZE, Léon ANGOR, Emmanuel DADET, Céline YANDZA née ECKOMBAND (présidente de l’URFC), Jean Jacques OWASSA, ou encore Victor OKO. Ils avaient même déjà préparé un gouvernement de rechange durant les troubles. On associa à leur procès par un tribunal populaire, l’affaire des tracts de mars dont l’enquete avait révélé de nouveaux élements. NZE, ANGOR ; CARAMBO-OKOUMOU, MANN, KESSY reconnurent leurs écrits disant juste qu’ils ne voulaient les distribuer qu’aux députés et non à la population. Ils écopèrent de 3 à 5 ans d’emprisonnement. ABOYA fut jugé par contumace et condamné à 10 ans.
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Il faut avouer que Nzé est aujourd’hui un des rares retraités politiques qui parle volontiers et sans tabou des erreurs de son parti, qui estime que leur échec est total et qui déplore que rien n’est fait pour redresser la situation aujourd’hui.